~ BLANCHE - NEIGE ~
Cela
se passait en plein hiver et les flocons de neige tombaient du ciel comme un
duvet léger. Une reine était assise à sa fenêtre encadrée de bois d'ébène et
cousait. Tout en tirant l'aiguille, elle regardait voler les blancs flocons.
Elle se piqua au doigt et trois gouttes de sang tombèrent sur la neige. Ce rouge
sur ce blanc faisait si bel effet qu'elle se dit : Si seulement j'avais un
enfant aussi blanc que la neige, aussi rose que le sang, aussi noir que le bois
de ma fenêtre ! Peu de temps après, une fille lui naquit ; elle était blanche
comme neige, rose comme sang et ses cheveux étaient noirs comme de l'ébène. On
l'appela Blanche-Neige. Mais la reine mourut en lui donnant le jour.
Au bout
d'une année, le roi épousa une autre femme. Elle était très belle ; mais elle
était fière et vaniteuse et ne pouvait souffrir que quelqu'un la surpassât en
beauté. Elle possédait un miroir magique. Quand elle s'y regardait en disant
:
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le
miroir répondait :
Madame la reine, vous êtes la plus belle au pays.
Et elle était contente. Elle savait que le miroir disait la vérité.
Blanche-Neige, cependant, grandissait et devenait de plus en plus belle. Quand
elle eut atteint ses dix-sept ans elle était déjà plus jolie que le jour et plus
belle que la reine elle-même. Un jour que celle-ci demandait au miroir :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Celui-ci
répondit :
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici
Mais
Blanche-Neige est encore mille fois plus belle.
La reine en fut
épouvantée. Elle devint jaune et verte de jalousie. À partir de là, chaque fois
qu'elle apercevait Blanche-Neige, son cœur se retournait dans sa poitrine tant
elle éprouvait de haine à son égard. La jalousie et l'orgueil croissaient en
elle comme mauvaise herbe. Elle en avait perdu le repos, le jour et la nuit.
Elle fit venir un chasseur et lui dit :
- Emmène l'enfant dans la forêt ! je
ne veux plus la voir. Tue-la et rapporte-moi pour preuve de sa mort ses poumons
et son foie.
Le chasseur obéit et conduisit Blanche-Neige dans le bois. Mais
quand il eut dégainé son poignard pour en percer son cœur innocent, elle se mit
à pleurer et dit :
- 0, cher chasseur, laisse-moi la vie ! je m'enfoncerai au
plus profond de la forêt et ne rentrerai jamais à la maison.
Et parce
qu'elle était belle, le chasseur eut pitié d'elle et dit :
- Sauve-toi,
pauvre enfant !
Les bêtes de la forêt auront tôt fait de te dévorer !
songeait-il. Et malgré tout, il se sentait soulagé de ne pas avoir dû la tuer.
Un marcassin passait justement. Il le tua de son poignard, prit ses poumons et
son foie et les apporta à la reine comme preuves de la mort de Blanche-Neige. Le
cuisinier reçut ordre de les apprêter et la méchante femme les mangea,
s'imaginant qu'ils avaient appartenu à Blanche-Neige.
La pauvre petite,
elle, était au milieu des bois, toute seule. Sa peur était si grande qu'elle
regardait toutes les feuilles de la forêt sans savoir ce qu'elle allait devenir.
Elle se mit à courir sur les cailloux pointus et à travers les épines. Les bêtes
sauvages bondissaient autour d'elle, mais ne lui faisaient aucun mal. Elle
courut jusqu'au soir, aussi longtemps que ses jambes purent la porter. Elle
aperçut alors une petite maisonnette et y pénétra pour s'y reposer. Dans la
maisonnette, tout était minuscule, gracieux et propre. On y voyait une petite
table couverte d'une nappe blanche, avec sept petites assiettes et sept petites
cuillères, sept petites fourchettes et sept petits couteaux, et aussi sept
petits gobelets. Contre le mur, il y avait sept petits lits alignés les uns à
côté des autres et recouverts de draps tout blancs. Blanche-Neige avait si faim
et si soif qu'elle prit dans chaque assiette un peu de légumes et de pain et but
une goutte de vin dans chaque gobelet : car elle ne voulait pas manger la
portion tout entière de l'un des convives. Fatiguée, elle voulut ensuite se
coucher. Mais aucun des lis ne lui convenait ; l'un était trop long, l'autre
trop court. Elle les essaya tous. Le septième, enfin, fut à sa taille. Elle s'y
allongea, se confia à Dieu et s'endormit.
Quand la nuit fut complètement
tombée, les propriétaires de la maisonnette arrivèrent. C'était sept nains qui,
dans la montagne, travaillaient à la mine. Ils allumèrent leurs sept petites
lampes et quand la lumière illumina la pièce, ils virent que quelqu'un y était
venu, car tout n'était plus tel qu'ils l'avaient laissé.
- Le premier dit :
Qui s'est assis sur ma petite chaise ?
- Le deuxième : Qui a mangé dans ma
petite assiette ?
- Le troisième : Qui a pris de mon pain ?
- Le
quatrième : Qui a mangé de mes légumes ?
- Le cinquième : Qui s'est servi de
ma fourchette ?
- Le sixième : Qui a coupé avec mon couteau ?
- Le
septième : Qui a bu dans mon gobelet ?
Le premier, en se retournant, vit que
son lit avait été dérangé.
- Qui a touché à mon lit ? dit-il.
Les autres
s'approchèrent en courant et chacun s'écria :
- Dans le mien aussi quelqu'un
s'est couché !
Mais le septième, quand il regarda son lit, y vit
Blanche-Neige endormie. Il appela les autres, qui vinrent bien vite et
poussèrent des cris étonnés. Ils prirent leurs sept petites lampes et
éclairèrent le visage de Blanche-Neige.
- Seigneur Dieu ! Seigneur Dieu !
s'écrièrent-ils ; que cette enfant est jolie !
Ils en eurent tant de joie
qu'ils ne l'éveillèrent pas et la laissèrent dormir dans le petit lit. Le
septième des nains coucha avec ses compagnons, une heure avec chacun, et la nuit
passa ainsi.
Au matin, Blanche-Neige s'éveilla. Quand elle vit les sept
nains, elle s'effraya. Mais ils la regardaient avec amitié et posaient déjà des
questions :
- Comment t'appelles-tu ?
- Je m'appelle Blanche-Neige,
répondit-elle.
- Comment es-tu venue jusqu'à nous ?
Elle leur raconta
que sa belle-mère avait voulu la faire tuer, mais que le chasseur lui avait
laissé la vie sauve et qu'elle avait ensuite couru tout le jour jusqu'à ce
qu'elle trouvât cette petite maison. Les nains lui dirent :
- Si tu veux
t'occuper de notre ménage, faire à manger, faire les lits, laver, coudre et
tricoter, si tu tiens tout en ordre et en propreté, tu pourras rester avec nous
et tu ne manqueras de rien.
- D'accord, d'accord de tout mon cœur, dit
Blanche-Neige.
Et elle resta auprès d'eux. Elle s'occupa de la maison. le
matin, les nains partaient pour la montagne où ils arrachaient le fer et l'or ;
le soir, ils s'en revenaient et il fallait que leur repas fût prêt. Toute la
journée, la jeune fille restait seule ; les bons petits nains l'avaient mise en
garde :
- Méfie-toi de ta belle-mère ! Elle saura bientôt que tu es ici ; ne
laisse entrer personne !
La reine, cependant, après avoir mangé les poumons
et le foie de Blanche-Neige, s'imaginait qu'elle était redevenue la plus belle
de toutes. Elle se mit devant son miroir et demanda :
Miroir, miroir
joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le miroir répondit
:
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais, par-delà les
monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille
fois plus belle.
La reine en fut bouleversée ; elle savait que le miroir
ne pouvait mentir. Elle comprit que le chasseur l'avait trompée et que
Blanche-Neige était toujours en vie. Elle se creusa la tête pour trouver un
nouveau moyen de la tuer car aussi longtemps qu'elle ne serait pas la plus belle
au pays, elle savait que la jalousie ne lui laisserait aucun repos. Ayant
finalement découvert un stratagème, elle se farda le visage et s'habilla comme
une vieille marchande ambulante. Elle était méconnaissable.
Ainsi déguisée,
elle franchit les sept montagnes derrière lesquelles vivaient les sept nains.
Elle frappa à la porte et dit :
- J'ai du beau, du bon à vendre, à vendre
!
Blanche-Neige regarda par la fenêtre et dit :
- Bonjour, cher Madame,
qu'avez-vous à vendre ?
- De la belle, de la bonne marchandise,
répondit-elle, des corselets de toutes les couleurs.
Elle lui en montra un
tressé de soie multicolore.
« Je peux bien laisser entrer cette honnête
femme ! » se dit Blanche-Neige. Elle déverrouilla la porte et acheta le joli
corselet.
- Enfant ! dit la vieille. Comme tu t'y prends ! Viens, je vais te
l'ajuster comme il faut !
Blanche-Neige était sans méfiance. Elle se laissa
passer le nouveau corselet. Mais la vieille serra rapidement et si fort que la
jeune fille perdit le souffle et tomba comme morte.
- Et maintenant, tu as
fini d'être la plus belle, dit la vieille en s'enfuyant.
Le soir, peu de
temps après, les sept nains rentrèrent à la maison. Quel effroi fut le leur
lorsqu'ils virent leur chère Blanche-Neige étendue sur le sol, immobile et comme
sans vie ! Ils la soulevèrent et virent que son corselet la serrait trop. Ils en
coupèrent vite le cordonnet. La jeune fille commença à respirer doucement et,
peu à peu, elle revint à elle. Quand les nains apprirent ce qui s'était passé,
ils dirent :
- La vieille marchande n'était autre que cette mécréante de
reine. Garde-toi et ne laisse entrer personne quand nous ne serons pas là !
La méchante femme, elle, dès son retour au château, s'était placée devant
son miroir et avait demandé :
Miroir, Miroir joli,
Qui est la plus
belle au pays ?
Une nouvelle fois, le miroir avait répondu
:
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici.
Mais, par-delà les
monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille
fois plus belle.
Quand la reine entendit ces mots, elle en fut si
bouleversée qu'elle sentit son cœur étouffer. Elle comprit que Blanche-Neige
avait recouvré la vie.
- Eh bien ! dit-elle, je vais trouver quelque moyen
qui te fera disparaître à tout jamais !
Par un tour de sorcellerie qu'elle
connaissait, elle empoisonna un peigne. Elle se déguisa à nouveau et prit
l'aspect d'une autre vieille femme.
Elle franchit ainsi les sept montagnes
en direction de la maison des sept nains, frappa à la porte et cria :
-
Bonne marchandise à vendre !
Blanche-Neige regarda par la fenêtre et dit
:
- Passez votre chemin ! je n'ai le droit d'ouvrir à quiconque.
- Mais
tu peux bien regarder, dit la vieille en lui montrant le peigne empoisonné. Je
vais te peigner joliment.
La pauvre Blanche-Neige ne se douta de rien et
laissa faire la vieille ; à peine le peigne eut-il touché ses cheveux que le
poison agit et que la jeune fille tomba sans connaissance.
- Et voilà ! dit
la méchante femme, c'en est fait de toi, prodige de beauté !
Et elle s'en
alla. Par bonheur, le soir arriva vite et les sept nains rentrèrent à la maison.
Quand ils virent Blanche-Neige étendue comme morte sur le sol, ils songèrent
aussitôt à la marâtre, cherchèrent et trouvèrent le peigne empoisonné. Dès
qu'ils l'eurent retiré de ses cheveux, Blanche-Neige revint à elle et elle leur
raconta ce qui s'était passé. Ils lui demandèrent une fois de plus d'être sur
ses gardes et de n'ouvrir à personne.
Rentrée chez elle, la reine s'était
placée devant son miroir et avait demandé :
Miroir, miroir joli,
Qui
est la plus belle au Pays ?
Comme la fois précédente, le miroir répondit
:
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici.
Mais, par-delà les
monts d'airain,
Auprès des gentils petits nains,
Blanche-Neige est mille
fois plus belle.
Quand la reine entendit cela, elle se mit à trembler de
colère.
- Il faut que Blanche-Neige meure ! s'écria-t-elle, dussé-je en
périr moi-même !
Elle se rendit dans une chambre sombre et isolée où personne
n'allait jamais et y prépara une pomme empoisonnée. Extérieurement, elle
semblait belle, blanche et rouge, si bien qu'elle faisait envie à quiconque la
voyait ; mais il suffisait d'en manger un tout petit morceau pour
mourir.
Quand tout fut prêt, la reine se farda le visage et se déguisa en
paysanne. Ainsi transformée, elle franchit les sept montagnes pour aller chez
les sept nains. Elle frappa à la porte. Blanche-Neige se pencha à la fenêtre et
dit :
- Je n'ai le droit de laisser entrer quiconque ici ; les sept nains me
l'ont interdit.
- D'accord ! répondit la paysanne. J'arriverai bien à vendre
mes pommes ailleurs ; mais je vais t'en offrir une.
- Non, dit
Blanche-Neige, je n'ai pas le droit d'accepter quoi que ce soit.
- Aurais-tu
peur d'être empoisonnée ? demanda la vieille. Regarde : je partage la pomme en
deux ; tu mangeras la moitié qui est rouge, moi, celle qui est blanche.
La
pomme avait été traitée avec tant d'art que seule la moitié était empoisonnée.
Blanche-Neige regarda le fruit avec envie et quand elle vit que la paysanne en
mangeait, elle ne put résister plus longtemps. Elle tendit la main et prit la
partie empoisonnée de la pomme. À peine y eut-elle mis les dents qu'elle tomba
morte sur le sol. La reine la regarda de ses yeux méchants, ricana et dit :
- Blanche comme neige, rose comme sang, noir comme ébène ! Cette fois-ci,
les nains ne pourront plus te réveiller !
Et quand elle fut de retour chez
elle, et demanda au miroir :
Miroir, miroir joli,
Qui est la plus
belle au pays ?
Celui-ci répondit enfin :
Madame la reine, vous
êtes la plus belle au pays.
Et son cœur jaloux trouva le repos, pour
autant qu'un cœur jaloux puisse le trouver.
Quand, au soir, les petits nains
arrivèrent chez eux, ils trouvèrent Blanche-Neige étendue sur le sol, sans
souffle. Ils la soulevèrent, cherchèrent s'il y avait quelque chose
d'empoisonné, défirent son corselet, coiffèrent ses cheveux, la lavèrent avec de
l'eau et du vin. Mais rien n'y fit : la chère enfant était morte et morte elle
restait. Ils la placèrent sur une civière, s'assirent tous les sept autour
d'elle et pleurèrent trois jours durant. Puis ils se préparèrent à l'enterrer.
Mais elle était restée fraîche comme un être vivant et ses jolies joues étaient
roses comme auparavant.
Ils dirent :
- Nous ne pouvons la mettre dans la
terre noire.
Ils fabriquèrent un cercueil de verre transparent où on
pourrait la voir de tous les côtés, l'y installèrent et écrivirent dessus son
nom en lettres d'or, en ajoutant qu'elle était fille de roi. Ils portèrent le
cercueil en haut de la montagne et l'un d'eux, sans cesse, monta la garde auprès
de lui.
Longtemps Blanche-Neige resta ainsi dans son cercueil toujours aussi
jolie. Il arriva qu'un jour un prince qui chevauchait par la forêt s'arrêta à la
maison des nains pour y passer la nuit. Il vit le cercueil au sommet de la
montagne, et la jolie Blanche-Neige. Il dit aux nains :
- Laissez-moi le
cercueil ; je vous en donnerai ce que vous voudrez.
Mais les nains
répondirent :
- Nous ne vous le donnerons pas pour tout l'or du monde.
Il
dit :
- Alors donnez-le-moi pour rien ; car je ne pourrai plus vivre sans
voir Blanche-Neige ; je veux lui rendre honneur et respect comme à ma
bien-aimée.
Quand ils entendirent ces mots, les bons petits nains furent
saisis de compassion et ils lui donnèrent le cercueil. Le prince le fit emporter
sur les épaules de ses serviteurs. Comme ils allaient ainsi, l'un d'eux buta sur
une souche. La secousse fit glisser hors de la gorge de Blanche-Neige le morceau
de pomme empoisonnée qu'elle avait mangé. Bientôt après, elle ouvrit les yeux,
souleva le couvercle du cercueil et se leva. Elle était de nouveau vivante
!
- Seigneur, où suis-je ? demanda-t-elle.
- Auprès de moi, répondit le
prince, plein d'allégresse.
Il lui raconta ce qui s'était passé, ajoutant :
- Je t'aime plus que tout au monde ; viens avec moi, tu deviendras ma femme.
Blanche-Neige accepta. Elle l'accompagna et leurs noces furent célébrées
avec magnificence et splendeur.
La méchante reine, belle-mère de
Blanche-Neige, avait également été invitée au mariage. Après avoir revêtu ses
plus beaux atours, elle prit place devant le miroir et demanda :
Miroir,
miroir joli,
Qui est la plus belle au pays ?
Le miroir répondit
:
Madame la reine, vous êtes la plus belle ici,
Mais la jeune
souveraine est mille fois plus belle.
La méchante femme proféra un
affreux juron et elle eut si peur, si peur qu'elle en perdit la tête.
FIN
~ CENDRILLON ~
Un
homme riche avait une femme qui tomba malade; et quand celle-ci sentit sa fin
prochaine, elle appela à son chevet son unique fille et lui dit: «Chère enfant,
reste bonne et pieuse, et le bon Dieu t’aidera toujours, et moi, du haut du
ciel, je te regarderai et te protégerai.» Puis elle ferma les yeux et mourut. La
fillette se rendit chaque jour sur la tombe de sa mère, pleura et resta bonne et
pieuse. L’hiver venu, la neige recouvrit la tombe d’un tapis blanc. Mais au
printemps, quand le soleil l’eut fait fondre, l’homme prit une autre
femme.
La femme avait amené avec elle ses deux filles qui étaient jolies
et blanches de visage, mais laides et noires de coeur. Alors de bien mauvais
jours commencèrent pour la pauvre belle-fille. «Faut-il que cette petite oie
reste avec nous dans la salle?» dirent-elles. «Qui veut manger du pain, doit le
gagner. Allez ouste, souillon!» Elles lui enlevèrent ses beaux habits, la
vêtirent d’un vieux tablier gris et lui donnèrent des sabots de bois. «Voyez un
peu la fière princesse, comme elle est accoutrée!» s’écrièrent-elles en riant et
elles la conduisirent à la cuisine. Alors il lui fallut faire du matin au soir
de durs travaux, se lever bien avant le jour, porter de l’eau, allumer le feu,
faire la cuisine et la lessive. En outre, les deux soeurs lui faisaient toutes
les misères imaginables, se moquaient d’elle, lui renversaient les pois et les
lentilles dans la cendre, de sorte qu’elle devait recommencer à les trier. Le
soir, lorsqu’elle était épuisée de travail, elle ne se couchait pas dans un lit,
mais devait s’étendre près du foyer dans les cendres. Et parce que cela lui
donnait toujours un air poussiéreux et sale, elles l’appelèrent
Cendrillon.
Il arriva que le père voulut un jour se rendre à la foire; il
demanda à ses deux belles-filles ce qu’il devait leur rapporter. «De beaux
habits,» dit l’une. «Des perles et des pierres précieuses,» dit la seconde. «Et
toi, Cendrillon,» demanda-t-il, «que veux-tu?» - «Père, le premier rameau qui
heurtera votre chapeau sur le chemin du retour, cueillez-le pour moi.» Il acheta
donc de beaux habits, des perles et des pierres précieuses pour les deux soeurs,
et, sur le chemin du retour, en traversant à cheval un vert bosquet, une branche
de noisetier l’effleura et fit tomber son chapeau. Alors il cueillit le rameau
et l’emporta. Arrivé à la maison, il donna à ses belles-filles ce qu’elles
avaient souhaité et à Cendrillon le rameau de noisetier. Cendrillon le remercia,
s’en alla sur la tombe de sa mère et y planta le rameau, en pleurant si fort que
les larmes tombèrent dessus et l’arrosèrent. Il grandit cependant et devint un
bel arbre. Cendrillon allait trois fois par jour pleurer et prier sous ses
branches, et chaque fois un petit oiseau blanc venait se poser sur l’arbre.
Quand elle exprimait un souhait, le petit oiseau lui lançait à terre ce quelle
avait souhaité.
Or il arriva que le roi donna une fête qui devait durer
trois jours et à laquelle furent invitées toutes les jolies filles du pays, afin
que son fils pût se choisir une fiancée. Quand elles apprirent qu’elles allaient
aussi y assister, les deux soeurs furent toutes contentes; elles appelèrent
Cendrillon et lui dirent: «Peigne nos cheveux, brosse nos souliers et ajuste les
boucles, nous allons au château du roi pour la noce.» Cendrillon obéit, mais en
pleurant, car elle aurait bien voulu les accompagner, et elle pria sa belle-mère
de bien vouloir le lui permettre. «Toi, Cendrillon,» dit-elle, «mais tu es
pleine de poussière et de crasse, et tu veux aller à la noce? Tu n’as ni habits,
ni souliers, et tu veux aller danser?» Mais comme Cendrillon ne cessait de la
supplier, elle finit par lui dire: «J’ai renversé un plat de lentilles dans les
cendres; si dans deux heures tu les as de nouveau triées, tu pourras venir avec
nous.» La jeune fille alla au jardin par la porte de derrière et appela: «Petits
pigeons dociles, petites tourterelles et vous tous les petits oiseaux du ciel,
venez m’aider à trier les graines:
Les bonnes dans le petit pot,
Les mauvaises dans votre jabot.»
Alors deux pigeons blancs entrèrent par la fenêtre de la cuisine, puis les tourterelles, et enfin, par nuées, tous les petits oiseaux du ciel vinrent en voletant se poser autour des cendres. Et baissant leurs petites têtes, tous les pigeons commencèrent à picorer : pic, pic, pic, pic, et les autres s’y mirent aussi: pic, pic, pic, pic, et ils amassèrent toutes les bonnes graines dans le plat. Au bout d’une heure à peine, ils avaient déjà terminé et s’envolèrent tous de nouveau. Alors la jeune fille, toute joyeuse à l’idée qu’elle aurait maintenant la permission d’aller à la noce avec les autres, porta le plat à sa marâtre. Mais celle-ci lui dit: «Non, Cendrillon, tu n’as pas d’habits et tu ne sais pas danser : on ne ferait que rire de toi.» Comme Cendrillon se mettait à pleurer, elle lui dit: «Si tu peux, en une heure de temps, me trier des cendres deux grands plats de lentilles, tu nous accompagneras.» Car elle se disait qu’au grand jamais elle n’y parviendrait. Quand elle eut jeté le contenu des deux plats de lentilles dans la cendre, la jeune fille alla dans le jardin par la porte de derrière et appela: «Petits pigeons dociles, petites tourterelles, et vous tous les petits oiseaux du ciel, venez m’aider à trier les graines:
Les bonnes dans le petit pot,
Les mauvaises dans votre jabot.»
Alors deux pigeons blancs entrèrent par la fenêtre de la
cuisine, puis les tourterelles, et enfin, par nuées, tous les petits oiseaux du
ciel vinrent en voletant se poser autour des cendres. Et baissant leurs petites
têtes, tous les pigeons commencèrent à picorer: pic, pic, pic, pic, et les
autres s y mirent aussi : pic, pic, pic, pic, et ils ramassèrent toutes les
bonnes graines dans les plats. Et en moins d’une demi-heure, ils avaient déjà
terminé, et s’envolèrent tous à nouveau. Alors la jeune fille, toute joyeuse à
l’idée que maintenant elle aurait la permission d’aller à la noce avec les
autres, porta les deux plats à sa marâtre. Mais celle-ci lui dit: «C’est peine
perdue, tu ne viendras pas avec nous, car tu n’as pas d’habits et tu ne sais pas
danser; nous aurions honte de toi.» Là-dessus, elle lui tourna le dos et partit
à la hâte avec ses deux filles superbement parées.
Lorsqu’il n’y eut plus
personne à la maison, Cendrillon alla sous le noisetier planté sur la tombe de
sa mère et cria:
«Petit arbre, ébranle-toi, agite-toi,
Jette de l’or et de l’argent sur moi.»
Alors l’oiseau lui lança une robe d’or et
d’argent, ainsi que des pantoufles brodées de soie et d’argent. Elle mit la robe
en toute hâte et partit à la fête. Ni ses soeurs, ni sa marâtre ne la
reconnurent, et pensèrent que ce devait être la fille d’un roi étranger, tant
elle était belle dans cette robe d’or. Elles ne songeaient pas le moins du monde
à Cendrillon et la croyaient au logis, assise dans la saleté, a retirer les
lentilles de la cendre. Le fils du roi vint à sa rencontre, a prit par la main
et dansa avec elle. Il ne voulut même danser avec nulle autre, si bien qu’il ne
lui lâcha plus la main et lorsqu’un autre danseur venait l’inviter, il lui
disait: «C’est ma cavalière.»
Elle dansa jusqu’au soir, et voulut alors
rentrer. Le fils du roi lui dit: «Je m’en vais avec toi et t’accompagne,» car il
voulait voir à quelle famille appartenait cette belle jeune fille. Mais elle lui
échappa et sauta dans le pigeonnier. Alors le prince attendit l’arrivée du père
et lui dit que la jeune inconnue avait sauté dans le pigeonnier. Serait-ce
Cendrillon? se demanda le vieillard et il fallut lui apporter une hache et une
pioche pour qu’il pût démolir le pigeonnier. Mais il n’y avait personne dedans.
Et lorsqu’ils entrèrent dans la maison, Cendrillon était couchée dans la cendre
avec ses vêtements sales, et une petite lampe à huile brûlait faiblement dans la
cheminée; car Cendrillon avait prestement sauté du pigeonnier par- derrière et
couru jusqu’au noisetier; là, elle avait retiré ses beaux habits, les avait
posés sur la tombe, et l’oiseau les avait remportés; puis elle était allée avec
son vilain tablier gris se mettre dans les cendres de la cuisine.
Le jour
suivant, comme la fête recommençait et que ses parents et ses soeurs étaient de
nouveau partis, Cendrillon alla sous le noisetier et dit:
«Petit arbre, ébranle-toi, agite-toi,
Jette de l’or et de l’argent sur moi.»
Alors l’oiseau lui lança une robe encore plus
splendide que celle de la veille. Et quand elle parut à la fête dans cette
toilette, tous furent frappés de sa beauté. Le fils du toi, qui avait attendu sa
venue, la prit aussitôt par la main et ne dansa qu’avec elle. Quand d’autres
venaient l’inviter, il leur disait: «C’est ma cavalière.» Le soir venu, elle
voulut partir, et le fils du roi la suivit, pour voir dans quelle maison elle
entrait, mais elle lui échappa et sauta dans le jardin derrière sa maison. Il y
avait là un grand et bel arbre qui portait les poires les plus exquises, elle
grimpa entre ses branches aussi agilement qu’un écureuil, et le prince ne sut
pas où elle était passée. Cependant il attendit l’arrivée du père et lui dit:
«La jeune fille inconnue m’a échappé, et je crois qu’elle a sauté sur le
poirier.» Serait-ce Cendrillon? pensa le père qui envoya chercher la hache et
abattit l’arbre, mais il n’y avait personne dessus. Et quand ils entrèrent dans
la cuisine, Cendrillon était couchée dans la cendre, tout comme d’habitude, car
elle avait sauté en bas de l’arbre par l’autre côté, rapporté les beaux habits à
l’oiseau du noisetier et revêtu son vilain tablier gris.
Le troisième
jour, quand ses parents et ses soeurs furent partis, Cendrillon retourna sur la
tombe de sa mère et dit au noisetier:
«Petit arbre, ébranle-toi, agite-toi,
Jette de l’or et de l’argent sur moi.»
Alors l’oiseau lui lança une robe qui était si
somptueuse et si éclatante qu’elle n’en avait encore jamais vue de pareille, et
les pantoufles étaient tout en or. Quand elle arriva à la noce dans cette
parure, tout le monde fut interdit d’admiration. Seul le fils du roi dansa avec
elle, et si quelqu’un l’invitait, il disait: «C’est ma cavalière.»
Quand
ce fut le soir, Cendrillon voulut partir, et le prince voulut l’accompagner,
mais elle lui échappa si vite qu’il ne put la suivre. Or le fils du roi avait eu
recours à une ruse : il avait fait enduire de poix tout l’escalier, de sorte
qu’en sautant pour descendre, la jeune fille y -avait laissé sa pantoufle gauche
engluée. Le prince la ramassa, elle était petite et mignonne et tout en or. Le
lendemain matin, il vint trouver le vieil homme avec la pantoufle et lui dit:
«Nulle ne sera mon épouse que celle dont le pied chaussera ce soulier d’or.»
Alors les deux soeurs se réjouirent, car elles avaient le pied joli. L’aînée
alla dans sa chambre pour essayer le soulier en compagnie de sa mère. Mais elle
ne put y faire entrer le gros orteil, car la chaussure tait trop petite pour
elle; alors sa mère lui tendit un couteau en lui disant: «Coupe-toi ce doigt;
quand tu seras reine, tu n’auras plus besoin d’aller à pied.» Alors la jeune
fille se coupa l’orteil, fit entrer de force son pied dans le soulier et,
contenant sa douleur, s’en alla trouver le fils du roi. Il la prit pour fiancée,
la mit sur son cheval et partit avec elle. Mais il leur fallut passer devant la
tombe; les deux petits pigeons s’y trouvaient, perchés sur le noisetier, et ils
crièrent:
«Roucou-cou, roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang il y a:
Bien trop petit était le soulier;
Encore au logis la vraie fiancée.»
Alors il regarda le pied et vit que le sang en coulait. Il fit faire demi-tour à son cheval, ramena la fausse fiancée chez elle, dit que ce n’était pas la véritable jeune fille et que l’autre soeur devait essayer le soulier. Celle-ci alla dans sa chambre, fit entrer l’orteil, mais son talon était trop grand. Alors sa mère lui tendit un couteau en disant: «Coupe-toi un bout de talon; quand tu seras reine, tu n’auras plus besoin d’aller à pied.» La jeune fille se coupa un bout de talon, fit entrer de force son pied dans le soulier et, contenant sa douleur, s’en alla trouve le fils du roi. Il la prit alors pour fiancée, la mit sur son cheval et partit avec elle. Quand ils passèrent devant le noisetier, les deux petits pigeons s’y trouvaient perchés et crièrent:
«Roucou-cou, Roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang il y a:
Bien trop petit était le soulier;
Encore au logis la vraie fiancée.»
Le prince regarda le pied et vit que le sang coulait de la chaussure et teintait tout de rouge les bas blancs. Alors il fit faire demi-tour à son cheval, et ramena la fausse fiancée chez elle. «Ce n’est toujours pas la bonne,» dit-il, «n’avez-vous point d’autre fille?» - «Non,» dit le père, «il n’y a plus que la fille de ma défunte femme, une misérable Cendrillon malpropre, c’est impossible qu’elle soit la fiancée que vous cherchez.» Le fils du roi dit qu’il fallait la faire venir, mais la mère répondit: «Oh non! La pauvre est bien trop sale pour se montrer.» Mais il y tenait absolument et on dut appeler Cendrillon. Alors elle se lava d’abord les mains et le visage, puis elle vint s’incliner devant le fils du roi, qui lui tendit le soulier d’or. Elle s’assit sur un escabeau, retira son pied du lourd sabot de bois et le mit dans la pantoufle qui lui allait comme un gant. Et quand elle se redressa et que le fils du roi vit sa figure, il reconnut la belle jeune fille avec laquelle il avait dansé et s’écria: «Voilà la vraie fiancée!» La belle-mère et les deux soeurs furent prises de peur et devinrent blêmes de rage. Quant au prince, il prit Cendrillon sur son cheval et partit avec elle. Lorsqu’ils passèrent devant le noisetier, les deux petits pigeons blancs crièrent:
«Rocou-cou, Roucou-cou et voyez là,
Dans la pantoufle, du sang plus ne verra
Point trop petit était le soulier,
Chez lui, il mène la vraie fiancée.»
Et après ce roucoulement, ils s’envolèrent tous deux
et descendirent se poser sur les épaules de Cendrillon, l’un à droite, l’autre à
gauche et y restèrent perchés.
Le jour où l’on devait célébrer son
mariage avec le fils du roi, ses deux perfides soeurs s’y rendirent avec
l’intention de s’insinuer dans ses bonnes grâces et d’avoir part à son bonheur.
Tandis que les fiancés se rendaient à l’église, l’aînée marchait à leur droite
et la cadette à leur gauche : alors les pigeons crevèrent un oeil à chacune
celles. Puis, quand ils s’en revinrent de l’église, l’aînée marchait à leur
gauche et la cadette à leur droite : alors les pigeons crevèrent l’autre oeil à
chacune d’elles. Et c’est ainsi qu’en punition de leur méchanceté et de leur
perfidie, elles furent aveugles pour le restant de leurs jours.
FIN
A
l'orée d'une grande forêt vivaient un pauvre bûcheron, sa femme et ses deux
enfants. Le garçon s'appelait Hansel et la fille Grethel. La famille ne mangeait
guère. Une année que la famine régnait dans le pays et que le pain lui-même vint
à manquer, le bûcheron ruminait des idées noires, une nuit, dans son lit et
remâchait ses soucis. Il dit à sa femme
- Qu'allons-nous devenir ? Comment
nourrir nos pauvres enfants, quand nous n'avons plus rien pour nous-mêmes ?
- Eh bien, mon homme, dit la femme, sais-tu ce que nous allons faire ? Dès
l'aube, nous conduirons les enfants au plus profond de la forêt nous leur
allumerons un feu et leur donnerons à chacun un petit morceau de pain. Puis nous
irons à notre travail et les laisserons seuls. Ils ne retrouveront plus leur
chemin et nous en serons débarrassés.
- Non, femme, dit le bûcheron. je ne
ferai pas cela ! Comment pourrais-je me résoudre à laisser nos enfants tout
seuls dans la forêt ! Les bêtes sauvages ne tarderaient pas à les dévorer.
-
Oh ! fou, rétorqua-t-elle, tu préfères donc que nous mourions de faim tous les
quatre ? Alors, il ne te reste qu'à raboter les planches de nos cercueils.
Elle n'eut de cesse qu'il n'acceptât ce qu'elle proposait.
- Mais j'ai
quand même pitié de ces pauvres enfants, dit le bûcheron.
Les deux petits
n'avaient pas pu s'endormir tant ils avaient faim. Ils avaient entendu ce que la
marâtre disait à leur père. Grethel pleura des larmes amères et dit à son frère
:
- C'en est fait de nous
- Du calme, Grethel, dit Hansel. Ne t'en fais
pas ; Je trouverai un moyen de nous en tirer.
Quand les parents furent
endormis, il se leva, enfila ses habits, ouvrit la chatière et se glissa dehors.
La lune brillait dans le ciel et les graviers blancs, devant la maison,
étincelaient comme des diamants. Hansel se pencha et en mit dans ses poches
autant qu'il put. Puis il rentra dans la maison et dit à Grethel :
- Aie
confiance, chère petite soeur, et dors tranquille. Dieu ne nous abandonnera pas.
Et lui-même se recoucha.
Quand vint le jour, avant même que le soleil ne
se levât, la femme réveilla les deux enfants :
- Debout, paresseux ! Nous
allons aller dans la forêt pour y chercher du bois. Elle leur donna un morceau
de pain à chacun et dit :
- Voici pour le repas de midi ; ne mangez pas tout
avant, car vous n'aurez rien d'autre.
Comme les poches de Hansel étaient
pleines de cailloux, Grethel mit le pain dans son tablier. Puis, ils se mirent
tous en route pour la forêt. Au bout de quelque temps, Hansel s'arrêta et
regarda en direction de la maison. Et sans cesse, il répétait ce geste. Le père
dit :
- Que regardes-tu, Hansel, et pourquoi restes-tu toujours en arrière ?
Fais attention à toi et n'oublie pas de marcher !
- Ah ! père dit Hansel, Je
regarde mon petit chat blanc qui est perché là-haut sur le toit et je lui dis au
revoir.
La femme dit :
- Fou que tu es ! ce n'est pas le chaton, c'est
un reflet de soleil sur la cheminée. Hansel, en réalité, n'avait pas vu le chat.
Mais, à chaque arrêt, il prenait un caillou blanc dans sa poche et le jetait sur
le chemin.
Quand ils furent arrivés au milieu de la forêt, le père dit
:
- Maintenant, les enfants, ramassez du bois ! je vais allumer un feu pour
que vous n'ayez pas froid.
Hansel et Grethel amassèrent des brindilles au
sommet d'une petite colline. Quand on y eut mit le feu et qu'il eut bien pris,
la femme dit :
- Couchez-vous auprès de lui, les enfants, et reposez-vous.
Nous allons abattre du bois. Quand nous aurons fini, nous reviendrons vous
chercher.
Hansel et Grethel s'assirent auprès du feu et quand vint l'heure
du déjeuner, ils mangèrent leur morceau de pain. Ils entendaient retentir des
coups de hache et pensaient que leur père était tout proche. Mais ce n'était pas
la hache. C'était une branche que le bûcheron avait attachée à un arbre mort et
que le vent faisait battre de-ci, de-là. Comme ils étaient assis là depuis des
heures, les yeux finirent par leur tomber de fatigue et ils s'endormirent. Quand
ils se réveillèrent, il faisait nuit noire. Grethel se mit à pleurer et dit
:
- Comment ferons-nous pour sortir de la forêt ?
Hansel la consola
-
Attends encore un peu, dit-il, jusqu'à ce que la lune soit levée. Alors, nous
retrouverons notre chemin.
Quand la pleine lune brilla dans le ciel, il prit
sa soeur par la main et suivit les petits cailloux blancs. Ils étincelaient
comme des écus frais battus et indiquaient le chemin. Les enfants marchèrent
toute la nuit et, quand le jour se leva, ils atteignirent la maison paternelle.
Ils frappèrent à la porte. Lorsque la femme eut ouvert et quand elle vit que
c'étaient Hansel et Grethel, elle dit :
- Méchants enfants ! pourquoi
avez-vous dormi si longtemps dans la forêt ? Nous pensions que vous ne
reviendriez jamais.
Leur père, lui, se réjouit, car il avait le coeur lourd
de les avoir laissés seuls dans la forêt.
Peu de temps après, la misère
régna de plus belle et les enfants entendirent ce que la marâtre disait, pendant
la nuit, à son mari :
- Il ne nous reste plus rien à manger, une demi-miche
seulement, et après, finie la chanson ! Il faut nous débarrasser des enfants ;
nous les conduirons encore plus profond dans la forêt pour qu'ils ne puissent
plus retrouver leur chemin ; il n'y a rien d'autre à faire.
Le père avait
bien du chagrin. Il songeait - « Il vaudrait mieux partager la dernière bouchée
avec les enfants. » Mais la femme ne voulut n'en entendre. Elle le gourmanda et
lui fit mille reproches. Qui a dit « A » doit dire « B. »Comme il avait accepté
une première fois, il dut consentir derechef.
Les enfants n'étaient pas
encore endormis. Ils avaient tout entendu. Quand les parents furent plongés dans
le sommeil, Hansel se leva avec l'intention d'aller ramasser des cailloux comme
la fois précédente. Mais la marâtre avait verrouillé la porte et le garçon ne
put sortir. Il consola cependant sa petite soeur :
- Ne pleure pas, Grethel,
dors tranquille ; le bon Dieu nous aidera.
Tôt le matin, la marâtre fit
lever les enfants. Elle leur donna un morceau de pain, plus petit encore que
l'autre fois. Sur la route de la forêt, Hansel l'émietta dans sa poche ; il
s'arrêtait souvent pour en jeter un peu sur le sol.
- Hansel, qu'as-tu à
t'arrêter et à regarder autour de toi ? dit le père. Va ton chemin !
- Je
regarde ma petite colombe, sur le toit, pour lui dire au revoir ! répondit
Hansel.
- Fou ! dit la femme. Ce n'est pas la colombe, c'est le soleil qui
se joue sur la cheminée.
Hansel, cependant, continuait à semer des miettes
de pain le long du chemin.
La marâtre conduisit les enfants au fin fond de
la forêt, plus loin qu'ils n'étaient jamais allés. On y refit un grand feu et la
femme dit :
- Restez là, les enfants. Quand vous serez fatigués, vous
pourrez dormir un peu nous allons couper du bois et, ce soir, quand nous aurons
fini, nous viendrons vous chercher.
À midi, Grethel partagea son pain avec
Hansel qui avait éparpillé le sien le long du chemin. Puis ils dormirent et la
soirée passa sans que personne ne revînt auprès d'eux. Ils s'éveillèrent au
milieu de la nuit, et Hansel consola sa petite soeur, disant :
- Attends que
la lune se lève, Grethel, nous verrons les miettes de pain que j'ai jetées ;
elles nous montreront le chemin de la maison.
Quand la lune se leva, ils se
mirent en route. Mais de miettes, point. Les mille oiseaux des champs et des
bois les avaient mangées. Les deux enfants marchèrent toute la nuit et le jour
suivant, sans trouver à sortir de la forêt. Ils mouraient de faim, n'ayant à se
mettre sous la dent que quelques baies sauvages. Ils étaient si fatigués que
leurs jambes ne voulaient plus les porter. Ils se couchèrent au pied d'un arbre
et s'endormirent.
Trois jours s'étaient déjà passés depuis qu'ils avaient
quitté la maison paternelle. Ils continuaient à marcher, s'enfonçant toujours
plus avant dans la forêt. Si personne n'allait venir à leur aide, ils ne
tarderaient pas à mourir. À midi, ils virent un joli oiseau sur une branche,
blanc comme neige. Il chantait si bien que les enfants s'arrêtèrent pour
l'écouter. Quand il eut fini, il déploya ses ailes et vola devant eux. Ils le
suivirent jusqu'à une petite maison sur le toit de laquelle le bel oiseau blanc
se percha. Quand ils s'en furent approchés tout près, ils virent qu'elle était
faite de pain et recouverte de gâteaux. Les fenêtres étaient en sucre. - Nous
allons nous mettre au travail, dit Hansel, et faire un repas béni de Dieu. Je
mangerai un morceau du toit ; ça a l'air d'être bon !
Hansel grimpa sur le
toit et en arracha un petit morceau pour goûter. Grethel se mit à lécher les
carreaux. On entendit alors une voix suave qui venait de la chambre
-
Langue, langue lèche !
Qui donc ma maison lèche ?
Les enfants
répondirent
- C'est le vent, c'est le vent.
Ce céleste enfant.
Et ils continuèrent à manger sans se laisser détourner de leur tâche.
Hansel, qui trouvait le toit fort bon, en fit tomber un gros morceau par terre
et Grethel découpa une vitre entière, s'assit sur le sol et se mit à manger. La
porte, tout à coup, s'ouvrit et une femme, vieille comme les pierres, s'appuyant
sur une canne, sortit de la maison. Hansel et Grethel eurent si peur qu'ils
laissèrent tomber tout ce qu'ils tenaient dans leurs mains. La vieille secoua la
tête et dit :
- Eh ! chers enfants, qui vous a conduits ici ? Entrez, venez
chez moi ! Il ne vous sera fait aucun mal.
Elle les prit tous deux par la
main et les fit entrer dans la maisonnette. Elle leur servit un bon repas, du
lait et des beignets avec du sucre, des pommes et des noix. Elle prépara ensuite
deux petits lits. Hansel et Grethel s'y couchèrent. Ils se croyaient au Paradis.
Mais l'amitié de la vieille n'était qu'apparente. En réalité, c'était une
méchante sorcière à l'affût des enfants. Elle n'avait construit la maison de
pain que pour les attirer. Quand elle en prenait un, elle le tuait, le faisait
cuire et le mangeait. Pour elle, c'était alors jour de fête. La sorcière avait
les yeux rouges et elle ne voyait pas très clair. Mais elle avait un instinct
très sûr, comme les bêtes, et sentait venir de loin les êtres humains. Quand
Hansel et Grethel s'étaient approchés de sa demeure, elle avait ri méchamment et
dit d'une voix mielleuse :
- Ceux-là, je les tiens ! Il ne faudra pas qu'ils
m'échappent !
À l'aube, avant que les enfants ne se soient éveillés, elle se
leva. Quand elle les vit qui reposaient si gentiment, avec leurs bonnes joues
toutes roses, elle murmura :
- Quel bon repas je vais faire !
Elle
attrapa Hansel de sa main rêche, le conduisit dans une petite étable et l'y
enferma au verrou. Il eut beau crier, cela ne lui servit à rien. La sorcière
s'approcha ensuite de Grethel, la secoua pour la réveiller et s'écria :
-
Debout, paresseuse ! Va chercher de l'eau et prépare quelque chose de bon à
manger pour ton frère. Il est enfermé à l'étable et il faut qu'il engraisse.
Quand il sera à point, je le mangerai.
Grethel se mit à pleurer, mais cela
ne lui servit à rien. Elle fut obligée de faire ce que lui demandait l'ogresse.
On prépara pour le pauvre Hansel les plats les plus délicats. Grethel, elle,
n'eut droit qu'à des carapaces de crabes. Tous les matins, la vieille se
glissait jusqu'à l'écurie et disait :
- Hansel, tends tes doigts, que je
voie si tu es déjà assez gras.
Mais Hansel tendait un petit os et la
sorcière, qui avait de mauvais yeux, ne s'en rendait pas compte. Elle croyait
que c'était vraiment le doigt de Hansel et s'étonnait qu'il n'engraissât point.
Quand quatre semaines furent passées, et que l'enfant était toujours aussi
maigre, elle perdit patience et décida de ne pas attendre plus longtemps.
-
Holà ! Grethel, cria-t-elle, dépêche-toi d'apporter de l'eau. Que Hansel soit
gras ou maigre, c'est demain que je le tuerai et le mangerai.
Ah, comme elle
pleurait, la pauvre petite, en charriant ses seaux d'eau, comme les larmes
coulaient le long de ses joues !
- Dieu bon, aide-nous donc !
s'écria-t-elle. Si seulement les bêtes de la forêt nous avaient dévorés ! Au
moins serions-nous morts ensemble !
- Cesse de te lamenter ! dit la vieille
; ça ne te servira à rien !
De bon matin, Grethel fut chargée de remplir la
grande marmite d'eau et d'allumer le feu.
- Nous allons d'abord faire la
pâte, dit la sorcière. J'ai déjà fait chauffer le four et préparé ce qu'il faut.
Elle poussa la pauvre Grethel vers le four, d'où sortaient de grandes flammes.
- Faufile-toi dedans ! ordonna-t-elle, et vois s'il est assez chaud pour la
cuisson. Elle avait l'intention de fermer le four quand la petite y serait pour
la faire rôtir. Elle voulait la manger, elle aussi. Mais Grethel devina son
projet et dit :
- Je ne sais comment faire , comment entre-t-on dans ce four
?
- Petite oie, dit la sorcière, l'ouverture est assez grande, vois, je
pourrais y entrer moi-même.
Et elle y passa la tête. Alors Grethel la poussa
vivement dans le four, claqua la porte et mit le verrou. La sorcière se mit à
hurler épouvantablement. Mais Grethel s'en alla et cette épouvantable sorcière
n'eut plus qu'à rôtir.
Grethel, elle, courut aussi vite qu'elle le pouvait
chez Hansel. Elle ouvrit la petite étable et dit :
- Hansel, nous sommes
libres ! La vieille sorcière est morte !
Hansel bondit hors de sa prison,
aussi rapide qu'un oiseau dont on vient d'ouvrir la cage. Comme ils étaient
heureux ! Comme ils se prirent par le cou, dansèrent et s'embrassèrent ! N'ayant
plus rien à craindre, ils pénétrèrent dans la maison de la sorcière. Dans tous
les coins, il y avait des caisses pleines de perles et de diamants.
- C'est
encore mieux que mes petits cailloux ! dit Hansel en remplissant ses poches.
Et Grethel ajouta
- Moi aussi, je veux en rapporter à la maison !
Et
elle en mit tant qu'elle put dans son tablier.
- Maintenant, il nous faut
partir, dit Hansel, si nous voulons fuir cette forêt ensorcelée.
Au bout de
quelques heures, ils arrivèrent sur les bords d'une grande rivière.
- Nous
ne pourrons pas la traverser, dit Hansel, je ne vois ni passerelle ni pont.
- On n'y voit aucune barque non plus, dit Grethel. Mais voici un canard
blanc. Si Je lui demande, il nous aidera à traverser.
Elle cria :
-
Petit canard, petit canard,
Nous sommes Hansel et Grethel.
Il n'y a ni
barque, ni gué, ni pont,
Fais-nous passer avant qu'il ne soit tard.
Le petit canard s'approcha et Hansel se mit à califourchon sur son dos.
Il demanda à sa soeur de prendre place à côté de lui.
- Non, répondit-elle,
ce serait trop lourd pour le canard. Nous traverserons l'un après l'autre.
La bonne petite bête les mena ainsi à bon port. Quand ils eurent donc passé
l'eau sans dommage, ils s'aperçurent au bout de quelque temps que la forêt leur
devenait de plus en plus familière. Finalement, ils virent au loin la maison de
leur père. Ils se mirent à courir, se ruèrent dans la chambre de leurs parents
et sautèrent au cou de leur père. L'homme n'avait plus eu une seule minute de
bonheur depuis qu'il avait abandonné ses enfants dans la forêt. Sa femme était
morte. Grethel secoua son tablier et les perles et les diamants roulèrent à
travers la chambre. Hansel en sortit d'autres de ses poches, par poignées. C'en
était fini des soucis. Ils vécurent heureux tous ensemble.
FIN
~ HANSEL ET GRETEL ~
A
l'orée d'une grande forêt vivaient un pauvre bûcheron, sa femme et ses deux
enfants. Le garçon s'appelait Hansel et la fille Grethel. La famille ne mangeait
guère. Une année que la famine régnait dans le pays et que le pain lui-même vint
à manquer, le bûcheron ruminait des idées noires, une nuit, dans son lit et
remâchait ses soucis. Il dit à sa femme
- Qu'allons-nous devenir ? Comment
nourrir nos pauvres enfants, quand nous n'avons plus rien pour nous-mêmes ?
- Eh bien, mon homme, dit la femme, sais-tu ce que nous allons faire ? Dès
l'aube, nous conduirons les enfants au plus profond de la forêt nous leur
allumerons un feu et leur donnerons à chacun un petit morceau de pain. Puis nous
irons à notre travail et les laisserons seuls. Ils ne retrouveront plus leur
chemin et nous en serons débarrassés.
- Non, femme, dit le bûcheron. je ne
ferai pas cela ! Comment pourrais-je me résoudre à laisser nos enfants tout
seuls dans la forêt ! Les bêtes sauvages ne tarderaient pas à les dévorer.
-
Oh ! fou, rétorqua-t-elle, tu préfères donc que nous mourions de faim tous les
quatre ? Alors, il ne te reste qu'à raboter les planches de nos cercueils.
Elle n'eut de cesse qu'il n'acceptât ce qu'elle proposait.
- Mais j'ai
quand même pitié de ces pauvres enfants, dit le bûcheron.
Les deux petits
n'avaient pas pu s'endormir tant ils avaient faim. Ils avaient entendu ce que la
marâtre disait à leur père. Grethel pleura des larmes amères et dit à son frère
:
- C'en est fait de nous
- Du calme, Grethel, dit Hansel. Ne t'en fais
pas ; Je trouverai un moyen de nous en tirer.
Quand les parents furent
endormis, il se leva, enfila ses habits, ouvrit la chatière et se glissa dehors.
La lune brillait dans le ciel et les graviers blancs, devant la maison,
étincelaient comme des diamants. Hansel se pencha et en mit dans ses poches
autant qu'il put. Puis il rentra dans la maison et dit à Grethel :
- Aie
confiance, chère petite soeur, et dors tranquille. Dieu ne nous abandonnera pas.
Et lui-même se recoucha.
Quand vint le jour, avant même que le soleil ne
se levât, la femme réveilla les deux enfants :
- Debout, paresseux ! Nous
allons aller dans la forêt pour y chercher du bois. Elle leur donna un morceau
de pain à chacun et dit :
- Voici pour le repas de midi ; ne mangez pas tout
avant, car vous n'aurez rien d'autre.
Comme les poches de Hansel étaient
pleines de cailloux, Grethel mit le pain dans son tablier. Puis, ils se mirent
tous en route pour la forêt. Au bout de quelque temps, Hansel s'arrêta et
regarda en direction de la maison. Et sans cesse, il répétait ce geste. Le père
dit :
- Que regardes-tu, Hansel, et pourquoi restes-tu toujours en arrière ?
Fais attention à toi et n'oublie pas de marcher !
- Ah ! père dit Hansel, Je
regarde mon petit chat blanc qui est perché là-haut sur le toit et je lui dis au
revoir.
La femme dit :
- Fou que tu es ! ce n'est pas le chaton, c'est
un reflet de soleil sur la cheminée. Hansel, en réalité, n'avait pas vu le chat.
Mais, à chaque arrêt, il prenait un caillou blanc dans sa poche et le jetait sur
le chemin.
Quand ils furent arrivés au milieu de la forêt, le père dit
:
- Maintenant, les enfants, ramassez du bois ! je vais allumer un feu pour
que vous n'ayez pas froid.
Hansel et Grethel amassèrent des brindilles au
sommet d'une petite colline. Quand on y eut mit le feu et qu'il eut bien pris,
la femme dit :
- Couchez-vous auprès de lui, les enfants, et reposez-vous.
Nous allons abattre du bois. Quand nous aurons fini, nous reviendrons vous
chercher.
Hansel et Grethel s'assirent auprès du feu et quand vint l'heure
du déjeuner, ils mangèrent leur morceau de pain. Ils entendaient retentir des
coups de hache et pensaient que leur père était tout proche. Mais ce n'était pas
la hache. C'était une branche que le bûcheron avait attachée à un arbre mort et
que le vent faisait battre de-ci, de-là. Comme ils étaient assis là depuis des
heures, les yeux finirent par leur tomber de fatigue et ils s'endormirent. Quand
ils se réveillèrent, il faisait nuit noire. Grethel se mit à pleurer et dit
:
- Comment ferons-nous pour sortir de la forêt ?
Hansel la consola
-
Attends encore un peu, dit-il, jusqu'à ce que la lune soit levée. Alors, nous
retrouverons notre chemin.
Quand la pleine lune brilla dans le ciel, il prit
sa soeur par la main et suivit les petits cailloux blancs. Ils étincelaient
comme des écus frais battus et indiquaient le chemin. Les enfants marchèrent
toute la nuit et, quand le jour se leva, ils atteignirent la maison paternelle.
Ils frappèrent à la porte. Lorsque la femme eut ouvert et quand elle vit que
c'étaient Hansel et Grethel, elle dit :
- Méchants enfants ! pourquoi
avez-vous dormi si longtemps dans la forêt ? Nous pensions que vous ne
reviendriez jamais.
Leur père, lui, se réjouit, car il avait le coeur lourd
de les avoir laissés seuls dans la forêt.
Peu de temps après, la misère
régna de plus belle et les enfants entendirent ce que la marâtre disait, pendant
la nuit, à son mari :
- Il ne nous reste plus rien à manger, une demi-miche
seulement, et après, finie la chanson ! Il faut nous débarrasser des enfants ;
nous les conduirons encore plus profond dans la forêt pour qu'ils ne puissent
plus retrouver leur chemin ; il n'y a rien d'autre à faire.
Le père avait
bien du chagrin. Il songeait - « Il vaudrait mieux partager la dernière bouchée
avec les enfants. » Mais la femme ne voulut n'en entendre. Elle le gourmanda et
lui fit mille reproches. Qui a dit « A » doit dire « B. »Comme il avait accepté
une première fois, il dut consentir derechef.
Les enfants n'étaient pas
encore endormis. Ils avaient tout entendu. Quand les parents furent plongés dans
le sommeil, Hansel se leva avec l'intention d'aller ramasser des cailloux comme
la fois précédente. Mais la marâtre avait verrouillé la porte et le garçon ne
put sortir. Il consola cependant sa petite soeur :
- Ne pleure pas, Grethel,
dors tranquille ; le bon Dieu nous aidera.
Tôt le matin, la marâtre fit
lever les enfants. Elle leur donna un morceau de pain, plus petit encore que
l'autre fois. Sur la route de la forêt, Hansel l'émietta dans sa poche ; il
s'arrêtait souvent pour en jeter un peu sur le sol.
- Hansel, qu'as-tu à
t'arrêter et à regarder autour de toi ? dit le père. Va ton chemin !
- Je
regarde ma petite colombe, sur le toit, pour lui dire au revoir ! répondit
Hansel.
- Fou ! dit la femme. Ce n'est pas la colombe, c'est le soleil qui
se joue sur la cheminée.
Hansel, cependant, continuait à semer des miettes
de pain le long du chemin.
La marâtre conduisit les enfants au fin fond de
la forêt, plus loin qu'ils n'étaient jamais allés. On y refit un grand feu et la
femme dit :
- Restez là, les enfants. Quand vous serez fatigués, vous
pourrez dormir un peu nous allons couper du bois et, ce soir, quand nous aurons
fini, nous viendrons vous chercher.
À midi, Grethel partagea son pain avec
Hansel qui avait éparpillé le sien le long du chemin. Puis ils dormirent et la
soirée passa sans que personne ne revînt auprès d'eux. Ils s'éveillèrent au
milieu de la nuit, et Hansel consola sa petite soeur, disant :
- Attends que
la lune se lève, Grethel, nous verrons les miettes de pain que j'ai jetées ;
elles nous montreront le chemin de la maison.
Quand la lune se leva, ils se
mirent en route. Mais de miettes, point. Les mille oiseaux des champs et des
bois les avaient mangées. Les deux enfants marchèrent toute la nuit et le jour
suivant, sans trouver à sortir de la forêt. Ils mouraient de faim, n'ayant à se
mettre sous la dent que quelques baies sauvages. Ils étaient si fatigués que
leurs jambes ne voulaient plus les porter. Ils se couchèrent au pied d'un arbre
et s'endormirent.
Trois jours s'étaient déjà passés depuis qu'ils avaient
quitté la maison paternelle. Ils continuaient à marcher, s'enfonçant toujours
plus avant dans la forêt. Si personne n'allait venir à leur aide, ils ne
tarderaient pas à mourir. À midi, ils virent un joli oiseau sur une branche,
blanc comme neige. Il chantait si bien que les enfants s'arrêtèrent pour
l'écouter. Quand il eut fini, il déploya ses ailes et vola devant eux. Ils le
suivirent jusqu'à une petite maison sur le toit de laquelle le bel oiseau blanc
se percha. Quand ils s'en furent approchés tout près, ils virent qu'elle était
faite de pain et recouverte de gâteaux. Les fenêtres étaient en sucre. - Nous
allons nous mettre au travail, dit Hansel, et faire un repas béni de Dieu. Je
mangerai un morceau du toit ; ça a l'air d'être bon !
Hansel grimpa sur le
toit et en arracha un petit morceau pour goûter. Grethel se mit à lécher les
carreaux. On entendit alors une voix suave qui venait de la chambre
-
Langue, langue lèche !
Qui donc ma maison lèche ?
Les enfants
répondirent
- C'est le vent, c'est le vent.
Ce céleste enfant.
Et ils continuèrent à manger sans se laisser détourner de leur tâche.
Hansel, qui trouvait le toit fort bon, en fit tomber un gros morceau par terre
et Grethel découpa une vitre entière, s'assit sur le sol et se mit à manger. La
porte, tout à coup, s'ouvrit et une femme, vieille comme les pierres, s'appuyant
sur une canne, sortit de la maison. Hansel et Grethel eurent si peur qu'ils
laissèrent tomber tout ce qu'ils tenaient dans leurs mains. La vieille secoua la
tête et dit :
- Eh ! chers enfants, qui vous a conduits ici ? Entrez, venez
chez moi ! Il ne vous sera fait aucun mal.
Elle les prit tous deux par la
main et les fit entrer dans la maisonnette. Elle leur servit un bon repas, du
lait et des beignets avec du sucre, des pommes et des noix. Elle prépara ensuite
deux petits lits. Hansel et Grethel s'y couchèrent. Ils se croyaient au Paradis.
Mais l'amitié de la vieille n'était qu'apparente. En réalité, c'était une
méchante sorcière à l'affût des enfants. Elle n'avait construit la maison de
pain que pour les attirer. Quand elle en prenait un, elle le tuait, le faisait
cuire et le mangeait. Pour elle, c'était alors jour de fête. La sorcière avait
les yeux rouges et elle ne voyait pas très clair. Mais elle avait un instinct
très sûr, comme les bêtes, et sentait venir de loin les êtres humains. Quand
Hansel et Grethel s'étaient approchés de sa demeure, elle avait ri méchamment et
dit d'une voix mielleuse :
- Ceux-là, je les tiens ! Il ne faudra pas qu'ils
m'échappent !
À l'aube, avant que les enfants ne se soient éveillés, elle se
leva. Quand elle les vit qui reposaient si gentiment, avec leurs bonnes joues
toutes roses, elle murmura :
- Quel bon repas je vais faire !
Elle
attrapa Hansel de sa main rêche, le conduisit dans une petite étable et l'y
enferma au verrou. Il eut beau crier, cela ne lui servit à rien. La sorcière
s'approcha ensuite de Grethel, la secoua pour la réveiller et s'écria :
-
Debout, paresseuse ! Va chercher de l'eau et prépare quelque chose de bon à
manger pour ton frère. Il est enfermé à l'étable et il faut qu'il engraisse.
Quand il sera à point, je le mangerai.
Grethel se mit à pleurer, mais cela
ne lui servit à rien. Elle fut obligée de faire ce que lui demandait l'ogresse.
On prépara pour le pauvre Hansel les plats les plus délicats. Grethel, elle,
n'eut droit qu'à des carapaces de crabes. Tous les matins, la vieille se
glissait jusqu'à l'écurie et disait :
- Hansel, tends tes doigts, que je
voie si tu es déjà assez gras.
Mais Hansel tendait un petit os et la
sorcière, qui avait de mauvais yeux, ne s'en rendait pas compte. Elle croyait
que c'était vraiment le doigt de Hansel et s'étonnait qu'il n'engraissât point.
Quand quatre semaines furent passées, et que l'enfant était toujours aussi
maigre, elle perdit patience et décida de ne pas attendre plus longtemps.
-
Holà ! Grethel, cria-t-elle, dépêche-toi d'apporter de l'eau. Que Hansel soit
gras ou maigre, c'est demain que je le tuerai et le mangerai.
Ah, comme elle
pleurait, la pauvre petite, en charriant ses seaux d'eau, comme les larmes
coulaient le long de ses joues !
- Dieu bon, aide-nous donc !
s'écria-t-elle. Si seulement les bêtes de la forêt nous avaient dévorés ! Au
moins serions-nous morts ensemble !
- Cesse de te lamenter ! dit la vieille
; ça ne te servira à rien !
De bon matin, Grethel fut chargée de remplir la
grande marmite d'eau et d'allumer le feu.
- Nous allons d'abord faire la
pâte, dit la sorcière. J'ai déjà fait chauffer le four et préparé ce qu'il faut.
Elle poussa la pauvre Grethel vers le four, d'où sortaient de grandes flammes.
- Faufile-toi dedans ! ordonna-t-elle, et vois s'il est assez chaud pour la
cuisson. Elle avait l'intention de fermer le four quand la petite y serait pour
la faire rôtir. Elle voulait la manger, elle aussi. Mais Grethel devina son
projet et dit :
- Je ne sais comment faire , comment entre-t-on dans ce four
?
- Petite oie, dit la sorcière, l'ouverture est assez grande, vois, je
pourrais y entrer moi-même.
Et elle y passa la tête. Alors Grethel la poussa
vivement dans le four, claqua la porte et mit le verrou. La sorcière se mit à
hurler épouvantablement. Mais Grethel s'en alla et cette épouvantable sorcière
n'eut plus qu'à rôtir.
Grethel, elle, courut aussi vite qu'elle le pouvait
chez Hansel. Elle ouvrit la petite étable et dit :
- Hansel, nous sommes
libres ! La vieille sorcière est morte !
Hansel bondit hors de sa prison,
aussi rapide qu'un oiseau dont on vient d'ouvrir la cage. Comme ils étaient
heureux ! Comme ils se prirent par le cou, dansèrent et s'embrassèrent ! N'ayant
plus rien à craindre, ils pénétrèrent dans la maison de la sorcière. Dans tous
les coins, il y avait des caisses pleines de perles et de diamants.
- C'est
encore mieux que mes petits cailloux ! dit Hansel en remplissant ses poches.
Et Grethel ajouta
- Moi aussi, je veux en rapporter à la maison !
Et
elle en mit tant qu'elle put dans son tablier.
- Maintenant, il nous faut
partir, dit Hansel, si nous voulons fuir cette forêt ensorcelée.
Au bout de
quelques heures, ils arrivèrent sur les bords d'une grande rivière.
- Nous
ne pourrons pas la traverser, dit Hansel, je ne vois ni passerelle ni pont.
- On n'y voit aucune barque non plus, dit Grethel. Mais voici un canard
blanc. Si Je lui demande, il nous aidera à traverser.
Elle cria :
-
Petit canard, petit canard,
Nous sommes Hansel et Grethel.
Il n'y a ni
barque, ni gué, ni pont,
Fais-nous passer avant qu'il ne soit tard.
Le petit canard s'approcha et Hansel se mit à califourchon sur son dos.
Il demanda à sa soeur de prendre place à côté de lui.
- Non, répondit-elle,
ce serait trop lourd pour le canard. Nous traverserons l'un après l'autre.
La bonne petite bête les mena ainsi à bon port. Quand ils eurent donc passé
l'eau sans dommage, ils s'aperçurent au bout de quelque temps que la forêt leur
devenait de plus en plus familière. Finalement, ils virent au loin la maison de
leur père. Ils se mirent à courir, se ruèrent dans la chambre de leurs parents
et sautèrent au cou de leur père. L'homme n'avait plus eu une seule minute de
bonheur depuis qu'il avait abandonné ses enfants dans la forêt. Sa femme était
morte. Grethel secoua son tablier et les perles et les diamants roulèrent à
travers la chambre. Hansel en sortit d'autres de ses poches, par poignées. C'en
était fini des soucis. Ils vécurent heureux tous ensemble.
FIN
~ LE PETIT CHAPERON ROUGE ~
Il
était une fois une petite fille que tout le monde aimait bien, surtout sa
grand-mère. Elle ne savait qu'entreprendre pour lui faire plaisir. Un jour, elle
lui offrit un petit bonnet de velours rouge, qui lui allait si bien qu'elle ne
voulut plus en porter d'autre. Du coup, on l'appela Chaperon Rouge. Un jour, sa
mère lui dit: “Viens voir, Chaperon Rouge: voici un morceau de gâteau et une
bouteille de vin. Porte-les à ta grand-mère; elle est malade et faible; elle
s'en délectera; fais vite, avant qu'il ne fasse trop chaud. Et quand tu seras en
chemin, sois bien sage et ne t'écarte pas de ta route, sinon tu casserais la
bouteille et ta grand-mère n'aurait plus rien. Et quand tu arriveras chez elle,
n'oublie pas de dire “Bonjour” et ne va pas fureter dans tous les
coins.”
“Je ferai tout comme il faut,” dit le Petit Chaperon Rouge à sa
mère. La fillette lui dit au revoir. La grand-mère habitait loin, au milieu de
la forêt, à une demi-heure du village. Lorsque le Petit Chaperon Rouge arriva
dans le bois, il rencontra le Loup. Mais il ne savait pas que c'était une
vilaine bête et ne le craignait point. “Bonjour, Chaperon Rouge,” dit le Loup.
“Bonjour, Loup,” dit le Chaperon Rouge. “Où donc vas-tu si tôt, Chaperon Rouge?”
- “Chez ma grand-mère.” - “Que portes-tu dans ton panier?” - “Du gâteau et du
vin. Hier nous avons fait de la pâtisserie, et ça fera du bien à ma grand-mère.
Ça la fortifiera.” - “Où habite donc ta grand-mère, Chaperon Rouge?” - “Oh! à un
bon quart d'heure d'ici, dans la forêt. Sa maison se trouve sous les trois gros
chênes. En dessous, il y a une haie de noisetiers, tu sais bien?” dit le petit
Chaperon Rouge. Le Loup se dit: “Voilà un mets bien jeune et bien tendre, un
vrai régal! Il sera encore bien meilleur que la vieille. Il faut que je m'y
prenne adroitement pour les attraper toutes les eux!” Il l'accompagna un bout de
chemin et dit: “Chaperon Rouge, vois ces belles fleurs autour de nous. Pourquoi
ne les regardes-tu pas? J'ai l'impression que tu n'écoutes même pas comme les
oiseaux chantent joliment. Tu marches comme si tu allais à l'école, alors que
tout est si beau, ici, dans la forêt!”
Le Petit Chaperon Rouge ouvrit les
yeux et lorsqu'elle vit comment les rayons du soleil dansaient de-ci, de-là à
travers les arbres, et combien tout était plein de fleurs, elle pensa: “Si
j'apportais à ma grand- mère un beau bouquet de fleurs, ça lui ferait bien
plaisir. Il est encore si tôt que j'arriverai bien à l'heure.” Elle quitta le
chemin, pénétra dans le bois et cueillit des fleurs. Et, chaque fois qu'elle en
avait cueilli une, elle se disait: “Plus loin, j'en vois une plus belle,” et
elle y allait et s'enfonçait toujours plus profondément dans la forêt. Le Loup
lui, courait tout droit vers la maison de la grand-mère. Il frappa à la porte.
“Qui est là?” - “C'est le Petit Chaperon Rouge qui t'apporte du gâteau et du
vin.” - “Tire la chevillette,” dit la grand-mère. “Je suis trop faible et ne
peux me lever.” Le Loup tire la chevillette, la porte s'ouvre et sans dire un
mot, il s'approche du lit de la grand-mère et l'avale. Il enfile ses habits, met
sa coiffe, se couche dans son lit et tire les rideaux.
Pendant ce temps,
le petit Chaperon Rouge avait fait la chasse aux fleurs. Lorsque la fillette en
eut tant qu'elle pouvait à peine les porter, elle se souvint soudain de sa
grand-mère et reprit la route pour se rendre auprès d'elle. Elle fut très
étonnée de voir la porte ouverte. Et lorsqu'elle entra dans la chambre, cela lui
sembla si curieux qu'elle se dit: “Mon dieu, comme je suis craintive
aujourd'hui. Et, cependant, d'habitude, je suis si contente d'être auprès de ma
grand-mère!” Elle s'écria: “Bonjour!” Mais nulle réponse. Elle s'approcha du lit
et tira les rideaux. La grand-mère y était couchée, sa coiffe tirée très bas sur
son visage. Elle avait l'air bizarre. “Oh, grand-mère, comme tu as de grandes
oreilles.” - “C'est pour mieux t'entendre!” - “Oh! grand-mère, comme tu as de
grands yeux!” - “C'est pour mieux te voir!” - “Oh! grand-mère, comme tu as de
grandes mains!” - “C'est pour mieux t'étreindre!” - “Mais, grand-mère, comme tu
as une horrible et grande bouche!” - “C'est pour mieux te manger!” À peine le
Loup eut-il prononcé ces mots, qu'il bondit hors du lit et avala le pauvre Petit
Chaperon Rouge.
Lorsque le Loup eut apaisé sa faim, il se recoucha,
s'endormit et commença à ronfler bruyamment. Un chasseur passait justement
devant la maison. Il se dit: “Comme cette vieille femme ronfle! Il faut que je
voie si elle a besoin de quelque chose.” Il entre dans la chambre et quand il
arrive devant le lit, il voit que c'est un Loup qui y est couché. “Ah! c'est
toi, bandit!” dit-il. “Voilà bien longtemps que je te cherche.” Il se prépare à
faire feu lorsque tout à coup l'idée lui vient que le Loup pourrait bien avoir
avalé la grand-mère et qu'il serait peut-être encore possible de la sauver. Il
ne tire pas, mais prend des ciseaux et commence à ouvrir le ventre du Loup
endormi. À peine avait-il donné quelques coups de ciseaux qu'il aperçoit le
Chaperon Rouge. Quelques coups encore et la voilà qui sort du Loup et dit: “Ah!
comme j'ai eu peur! Comme il faisait sombre dans le ventre du Loup!” Et voilà
que la grand-mère sort à son tour, pouvant à peine respirer. Le Petit Chaperon
Rouge se hâte de chercher de grosses pierres. Ils en remplissent le ventre du
Loup. Lorsque celui-ci se réveilla, il voulut s'enfuir. Mais les pierres étaient
si lourdes qu'il s'écrasa par terre et mourut.
Ils étaient bien contents
tous les trois: le chasseur dépouilla le Loup et l'emporta chez lui. La
grand-mère mangea le gâteau et but le vin que le Petit Chaperon Rouge avait
apportés. Elle s'en trouva toute ragaillardie. Le Petit Chaperon Rouge cependant
pensait: “Je ne quitterai plus jamais mon chemin pour aller me promener dans la
forêt, quand ma maman me l'aura interdit.”
On raconte encore qu’une autre fois, quand le Petit Chaperon Rouge apportait de nouveau de la galette à sa vieille grand-mère, un autre loup essaya de la distraire et de la faire sortir du chemin. Mais elle s’en garda bien et continua à marcher tout droit. Arrivée chez sa grand-mère, elle lui raconta bien vite que le loup était venu à sa rencontre et qu’il lui avait souhaité le bonjour, mais qu’il l’avait regardée avec des yeux si méchants: “Si je n’avais pas été sur la grand-route, il m’aurait dévorée!” ajouta-t’elle. “Viens,” lui dit sa grand-mère, “nous allons fermer la porte et bien la cadenasser pour qu’il ne puisse pas entrer ici.” Peu après, le loup frappait à la porte et criait: “Ouvre-moi, grand-mère! c’est moi, le Petit Chaperon Rouge, qui t’apporte des gâteaux!” Mais les deux gardèrent le silence et n’ouvrirent point la porte. Tête-Grise fit alors plusieurs fois le tour de la maison à pas feutrés, et, pour finir, il sauta sur le toit, décidé à attendre jusqu’au soir, quand le Petit Chaperon Rouge sortirait, pour profiter de l’obscurité et l’engloutir. Mais la grand-mère se douta bien de ses intentions. “Prends le seau, mon enfant,” dit-elle au Petit Chaperon Rouge, “j’ai fait cuire des saucisses hier, et tu vas porter l’eau de cuisson dans la grande auge de pierre qui est devant l’entrée de la maison.” Le Petit Chaperon Rouge en porta tant et tant de seaux que, pour finir, l’auge était pleine. Alors la bonne odeur de la saucisse vint caresser les narines du loup jusque sur le toit. Il se pencha si bien en tendant le cou, qu’à la fin il glissa et ne put plus se retenir. Il glissa du toit et tomba droit dans l’auge de pierre où il se noya. Allègrement, le Petit Chaperon Rouge regagna sa maison, et personne ne lui fit le moindre mal.
FIN
~ LE VAILLANT PETIT TAILLEUR ~
Par
une matinée d'été, un petit tailleur, assis sur sa table près de la fenêtre,
cousait joyeusement et de toutes ses forces. Il vint à passer dans la rue une
paysanne qui criait : « Bonne crème à vendre ! bonne crème à vendre ! « Ce mot
de crème résonna agréablement aux oreilles du petit homme, et passant sa
mignonne tête par la fenêtre: « Ici, bonne femme, entrez ici, lui dit-il, vous
trouverez acheteur. »
Elle monta, chargée de son lourd panier, les trois
marches de la boutique du tailleur et il fallut quelle étalât tous ses pots
devant lui. Après les avoir tous considérés, maniés, flairés l'un après l'autre,
il finit par dire : « Il me semble que cette crème est bonne ; pesez-m'en deux
onces, bonne femme, allez même jusqu'au quarteron. » La paysanne, qui avait
espéré faire un marché plus considérable, lui donna ce qu'il désirait ; mais
elle s'en alla en grondant et en murmurant.
« Maintenant, s'écria le petit
tailleur, je prie Dieu qu'il me fasse la grâce de bénir cette bonne crème, pour
quelle me rende force et vigueur. » Et prenant le pain dans l'armoire, il coupa
une longue tartine pour étendre sa crème dessus. « Voilà qui n'aura pas mauvais
goût, pensa-t-il, mais, avant de l'entamer, il faut que j'achève cette veste. »
Il posa sa tartine à côté de lui et se remit à coudre, et dans sa joie il
faisait des points de plus en plus grands. Cependant l'odeur de la crème
attirait les mouches qui couvraient le mur et elles vinrent en foule se poser
dessus. « Qui vous a invitées ici? » dit le tailleur en chassant ces hôtes
incommodes.
Mais les mouches qui n'entendaient pas le français, revinrent en
plus grand nombre qu'auparavant. Cette fois, la moutarde lui monta au nez, et
saisissant un lambeau de drap dans son tiroir : « Attendez, s'écria-t-il, je
vais vous en donner; » et il frappa dessus sans pitié. Ce grand coup porté, il
compta les morts ; il n'y en avait pas moins de sept, qui gisaient les pattes
étendues. « Peste ! se dit-il étonné lui-même de sa valeur, il paraît que je
suis un gaillard, il faut que toute la ville le sache. »
Et, dans son
enthousiasme, il se fit une ceinture et broda dessus en grosses lettres : « J'en
abats sept d'un coup ! »
« Mais la ville ne suffit pas, ajouta-t-il encore,
il faut que le monde tout entier l'apprenne. » Le cœur lui frétillait de joie
dans la poitrine comme la queue d'un petit agneau.
Il mit donc sa ceinture et
résolut de courir le monde, car sa boutique lui semblait désormais un trop petit
théâtre pour sa valeur. Avant de sortir de chez lui, il chercha dans toute la
maison s'il n'avait rien à emporter, mais il ne trouva qu'un vieux fromage qu'il
mit dans sa poche. Devant sa porte, il y avait un oiseau en cage ; il le mit
dans sa poche avec le fromage. Puis il enfila bravement son chemin ; et, comme
il était leste et actif, il marcha sans se fatiguer.
Il passa par une
montagne au sommet de laquelle était assis un énorme géant qui regardait
tranquillement les passants. Le petit tailleur alla droit à lui et lui dit : «
Bonjour, camarade ; te voilà assis, tu regarde le monde à tes pieds? Pour moi,
je me suis mis en route et je cherche les aventures. Veux-tu venir avec moi?
»
Le géant lui répondit d'un air de mépris: « Petit drôle ! petit avorton
!
— Est-il possible? » s'écria le petit tailleur ; et, boutonnant son habit,
il montra sa ceinture au géant en lui disant : « Lis ceci, tu verras à qui tu as
affaire. »
Le géant, qui lut : « Sept d'un coup! » s'imagina que c'étaient
des hommes que le tailleur avait tués, et conçut un peu plus de respect pour le
petit personnage. Cependant, pour l'éprouver, il prit un caillou dans sa main et
le pressa si fort que l'eau en suintait. « Maintenant, dit-il, fais comme moi,
si tu as de la vigueur.
— N'est-ce que cela? répondit le tailleur; c'est un
jeu d'enfant dans mon pays. » Et fouillant à sa poche il prit son fromage mou et
le serra dans sa main de façon à en faire sortir tout le jus. « Eh bien,
ajouta-t-il, voilà qui te vaut bien, ce me semble. »
Le géant ne savait que
dire et ne comprenait pas qu'un nain pût être si fort. Il prit un autre caillou
et le lança si haut que l'œil le voyait à peine, en disant: « Allons, petit
homme, fais comme moi.
— Bien lancé ! dit le tailleur, mais le caillou est
retombé. Moi, j'en vais lancer un autre qui ne retombera pas. » Et prenant
l'oiseau qui était dans sa poche, il le jeta en l'air.
L'oiseau, joyeux de se
sentir libre, s'envola à tire d'aile, et ne revint pas. « Qu'en dis-tu, cette
fois, camarade? ajouta-t-il.
— C'est bien fait, répondit le géant, mais je
veux voir si tu portes aussi lourd que tu lances loin. » Et il conduisit le
petit tailleur devant un chêne énorme qui était abattu sur le sol. « Si tu es
vraiment fort, dit-il, il faut que tu m'aides à enlever cet arbre.
—
Volontiers, répondit le petit homme, prends le tronc sur ton épaule; je me
chargerai des branches et de la tête, c'est le plus lourd. »
Le géant prit le
tronc sur son épaule, mais le petit tailleur s'assit sur une branche, de sorte
que le géant, qui ne pouvait pas regarder derrière lui, portait l'arbre tout
entier et le tailleur par-dessus le marché. Il s'était installé paisiblement, et
sifflait gaiement le petit air :
Il était trois tailleurs qui
chevauchaient ensemble,
comme si c'eût été pour lui un jeu d'enfant que
de porter un arbre. Le géant, écrasé sous le fardeau et n'en pouvant plus au
bout de quelques pas, lui cria : « Attention, je laisse tout tomber. » Le petit
homme sauta lestement en bas, et saisissant l'arbre dans ses deux bras, comme
s'il en avait porté sa part, il dit au géant: « Tu n'es guère vigoureux pour un
gaillard de ta taille. »
Ils continuèrent leur chemin, et, comme ils
passaient devant un cerisier, le géant saisit la tête de l'arbre où étaient les
fruits les plus mûrs, et, la courbant jusqu'en bas, la mit dans la main du
tailleur pour lui faire manger les cerises. Mais celui-ci était bien trop faible
pour la maintenir, et, quand le géant l'eut lâchée, l'arbre en se redressant
emporta le tailleur avec lui. Il redescendit sans se blesser; mais le géant lui
dit: « Qu'est-ce donc! est-ce que tu n'aurais pas la force de courber une
pareille baguette?
— Il ne s'agit pas de force, répondit le petit tailleur ;
qu'est-ce que cela pour un homme qui en a abattu sept d'un coup? J'ai sauté
par-dessus l'arbre pour me garantir du plomb, parce qu'il y avait en bas des
chasseurs qui tiraient aux buissons ; fais-en autant, si tu peux. » Le géant
essaya, mais il ne put sauter par-dessus l'arbre, et il resta embarrassé dans
les branches. Ainsi le tailleur conserva l'avantage.
« Puisque tu es un si
brave garçon, dit le géant, il faut que tu viennes dans notre caverne et que tu
passes la nuit chez nous. »
Le tailleur y consentit volontiers. Quand ils
furent arrivés, ils trouvèrent d'autres géants assis près du feu, tenant à la
main et mangeant chacun un mouton rôti. Le tailleur jugeait l'appartement plus
grand que sa boutique. Le géant lui montra son lit et lui dit de se coucher.
Mais, comme le lit était trop grand pour un si petit corps, il se blottit dans
un coin. A minuit, le géant, croyant qu'il dormait d'un profond sommeil, saisit
une grosse barre de fer et en donna un grand coup au beau milieu du lit; il
pensait bien avoir tué J'avorton sans rémission. Au petit jour, les géants se
levèrent et allèrent dans le bois; ils avaient oublié le tailleur; quand ils le
virent sortir de la caverne d'un air joyeux et passablement effronté, ils furent
pris de peur, et, craignant qu'il ne les tuât tous, ils s'enfuirent au plus
vite.
Le petit tailleur continua son voyage, toujours le nez au vent. Après
avoir longtemps erré, il arriva dans le jardin d'un palais, et, comme il se
sentait un peu fatigué, il se coucha sur le gazon et s'endormit. Les gens qui
passaient par là se mirent à le considérer de tous côtés et lurent sur sa
ceinture: Sept d'un coup! « Ah! se dirent-ils, qu'est-ce que ce foudre de guerre
vient faire ici au milieu de la paix? il faut que ce soit quelque puissant
seigneur. » Ils allèrent en faire part au roi, en ajoutant que si la guerre
venait à éclater, ce serait un utile auxiliaire qu'il faudrait s'attacher à tout
prix. Le roi goûta ce conseil et envoya un de ses courtisans au petit homme pour
lui offrir du service aussitôt qu'il serait éveillé. L'envoyé resta en
sentinelle près du dormeur, et, quand celui-ci eut commencé à ouvrir les yeux et
à se tirer les membres, il lui fit ses propositions. « J'étais venu pour cela,
répondit l'autre, et je suis prêt à entrer au service du roi. » On le reçut avec
toutes sortes d'honneurs, et on lui assigna un logement à la cour.
Mais les
militaires étaient jaloux de lui et auraient voulu le voir à mille lieues plus
loin. « Qu'est-ce que tout cela deviendra? se disaient-ils entre eux; si nous
avons quelque querelle avec lui, il se jettera sur nous et en abattra sept à
chaque coup. Pas un de nous ne survivra. » Ils se résolurent d'aller trouver le
roi et de lui demander tous leur congé. « Nous ne pouvons pas, lui dirent-ils,
rester auprès d'un homme qui en abat sept d'un coup. »
Le roi était bien
désolé de voir ainsi tous ses loyaux serviteurs l'abandonner; il aurait souhaité
de n'avoir jamais vu celui qui en était la cause et s'en serait débarrassé
volontiers. Mais il n'osait pas le congédier, de peur que cet homme terrible ne
le tuât ainsi que son peuple pour s'emparer du trône.
Le roi, après y avoir
beaucoup songé, trouva un expédient. Il envoya faire au petit tailleur une offre
que celui-ci ne pouvait manquer d'accepter en sa qualité de héros. Il y avait
dans une forêt du pays deux géants qui commettaient toutes sortes de
brigandages, de meurtres et d'incendies. Personne n'approchait d'eux sans
craindre pour ses jours. S'il parvenait à les vaincre et à les mettre à mort, le
roi lui donnerait sa fille unique en mariage, avec la moitié du royaume pour
dot. On mettait à sa disposition cent cavaliers pour l'aider au besoin. Le petit
tailleur pensa que l'occasion d'épouser une jolie princesse était belle et ne se
retrouverait pas tous les jours. Il déclara qu'il consentait à marcher contre
les géants, mais qu'il n'avait que faire de l'escorte des cent cavaliers, celui
qui en avait abattu sept d'un coup ne craignant pas deux adversaires à la
fois.
Il se mit donc en marche suivi des cent cavaliers. Quand on fut arrivé
à la lisière de la forêt, il leur dit de l'attendre, et qu'il viendrait à bout
des géants à lui tout seul. Puis il entra dans le bois en regardant avec
précaution autour de lui. Au bout d'un moment il aperçut les deux géants
endormis sous un arbre et ronflant si fort que les branches en tremblaient. Le
petit tailleur remplit ses deux poches de cailloux, et, montant dans l'arbre
sans perdre de temps, il se glissa sur une branche qui s'avançait juste
au-dessus des deux dormeurs et laissa tomber quelques cailloux, l'un après
l'autre, sur l'estomac de l'un d'eux. Le géant fut longtemps sans rien sentir,
mais à la fin il s'éveilla, et poussant son camarade il lui dit: « Pourquoi me
frappes-tu?
— Tu rêves, dit l'autre, je ne t'ai pas touché. »
Ils se
rendormirent. Le tailleur se mit alors à jeter une pierre au second. « Qu'y
a-t-il? s'écria celui-ci, qu'est-ce que tu me jettes?
— Je ne t'ai rien jeté;
tu rêves, » répondit le premier.
Ils se disputèrent quelque temps ; mais,
comme ils étaient fatigués, ils finirent par s'apaiser et se rendormir encore.
Cependant le tailleur recommença son jeu, et choisissant le plus gros de ses
cailloux, il le jeta de toutes ses forces sur l'estomac du premier géant. «
C'est trop fort! » s'écria celui-ci; et se levant comme un forcené, il sauta sur
son compagnon, qui lui rendit la monnaie de sa pièce. Le combat devint si
furieux qu'ils arrachaient des arbres pour s'en faire des armes, et l'affaire ne
cessa que lorsque tous les deux furent étendus morts sur le sol.
Alors le
petit tailleur descendit de son poste. « Il est bien heureux, pensait-il, qu'ils
n'aient pas aussi arraché l'arbre sur lequel j'étais perché; j'aurais été obligé
de sauter sur quelque autre, comme un écureuil; mais on est leste dans notre
métier. » Il tira son épée, et, après en avoir donné à chacun d'eux une couple
de bons coups dans la poitrine, il revint trouver les cavaliers et leur dit: «
C'est fini, je leur ai donné le coup de grâce; l'affaire a été chaude ; ils
voulaient résister, ils ont arraché des arbres pour me les lancer; mais à quoi
servirait tout cela contre un homme comme moi, qui en abats sept d'un coup!
—
N'êtes-vous pas blessé? demandèrent les cavaliers.
— Non, dit-il, je n'ai pas
un cheveu de dérangé. »
Les cavaliers ne voulaient pas le croire; ils
entrèrent dans le bois et trouvèrent en effet les géants nageant dans leur sang,
et les arbres abattus de tous côtés autour d'eux.
Le petit tailleur réclama
la récompense promise par le roi; mais celui-ci qui se repentait d'avoir engagé
sa parole, chercha encore à se débarrasser du héros. « Il y a, lui dit-il, une
autre aventure dont tu dois venir à bout avant d'obtenir ma fille et la moitié
de mon royaume. Mes forêts sont fréquentées par une licorne qui y fait beaucoup
de dégâts, il faut t'en emparer.
— Une licorne me fait encore moins peur que
deux géants : Sept d'un coup, c'est ma devise. »
Il prit une corde et une
hache et entra dans le bois, en ordonnant à ceux qui l'accompagnaient de
l'attendre au dehors. Il n'eut pas à chercher longtemps; la licorne apparut
bientôt, et elle s'élança sur lui pour le percer. « Doucement, doucement, dit-il
; trop vite ne vaut rien. » Il resta immobile jusqu'à ce que l'animal fût tout
près de lui, et alors il se glissa lestement derrière le tronc d'un arbre. La
licorne, qui était lancée de toutes ses forces contre l'arbre, y enfonça sa
corne si profondément qu'il lui fut impossible de la retirer, et qu'elle fut
prise ainsi. « L'oiseau est en cage »se dit le tailleur, et sortant de sa
cachette, il s'approcha de la licorne, lui passa sa corde autour du cou; à coups
de hache il débarrassa sa corne enfoncée dans le tronc, et, quand tout fut fini,
il amena l'animal devant le roi.
Mais le roi ne couvait se résoudre à tenir
sa parôle; il lui posa encore une troisième condition. Il s'agissait de
s'emparer d'un sanglier qui faisait de grands ravages dans les bois. Les
chasseurs du roi avaient ordre de prêter main-forte. Le tailleur accepta en
disant que ce n'était qu'un jeu d'enfants. Il entra dans le bois sans les
chasseurs ; et ils n'en furent pas fâchés, car le sanglier les avait déjà reçus
maintes fois de telle façon qu'ils n'étaient nullement tentés d'y retourner. Dès
que le sanglier eut aperçu le tailleur, il se précipita sur lui, en écumant et
en montrant ses défenses aiguës pour le découdre; mais le léger petit homme se
réfugia dans une chapelle qui était là tout près, et en ressortit aussitôt en
sautant par la fenêtre. Le sanglier y avait pénétré derrière lui ; mais en deux
bonds le tailleur revint à la porte et la ferma, de sorte que la bête furieuse
se trouva prise, car elle était trop lourde et trop massive pour s'enfuir par le
même chemin. Après cet exploit, il appela les chasseurs pour qu'ils vissent le
prisonnier de leurs propres yeux, et il se présenta au roi, auquel force fut
cette fois de s'exécuter malgré lui et de lui donner sa fille et la moitié de
son royaume. Il eût eu bien plus de mal encore a se décider s'il avait su que
son gendre n'était pas un grand guerrier, mais un petit manieur d'aiguille. Les
noces furent célébrées avec beaucoup de magnificence et peu de joie, et d'un
tailleur on fit un roi.
Quelque temps après, la jeune reine entendit la nuit
son mari qui disait en rêvant : « Allons, garçon, termine cette veste et ravaude
cette culotte, ou sinon je te donne de l'aune sur les oreilles. » Elle comprit
ainsi dans quelle arrière-boutique le jeune homme avait été élevé, et le
lendemain elle alla se plaindre à son père, le priant de la délivrer d'un mari
qui n'était qu'un misérable tailleur.
Le roi lui dit pour la consoler : « La
nuit prochaine, laisse ta chambre ouverte; mes serviteurs se tiendront à la
porte, et, quand il sera endormi, ils entreront, et le porteront chargé de
chaînes sur un navire qui l'emmènera bien loin. »
La jeune femme était
charmée ; mais l'écuyer du roi, qui avait tout entendu et qui aimait le nouveau
prince, alla lui découvrir le complot.
« J'y mettrai bon ordre, » lui dit le
tailleur. Le soir il se coucha comme à l'ordinaire, et quand sa femme le crut
bien endormi, elle alla ouvrir la porte et se recoucha à ses côtés. Mais le
petit homme, qui faisait semblant de dormir, se mit à crier à haute voix : «
Allons, garçon, termine cette veste et ravaude cette culotte, ou sinon je te
donne de l'aune sur les oreilles. J'en ai abattu sept d'un coup, j'ai tué deux
géants, chassé une licorne, pris un sanglier ; aurais-je donc peur des gens qui
sont blottis à ma porte? » En entendant ces derniers mots, ils furent tous pris
d'une telle épouvante, qu'ils s'enfuirent comme s'ils avaient eu le diable à
leurs trousses, et que jamais personne n'osa plus se risquer contre lui. Et de
cette manière il conserva toute sa vie la couronne.
FIN
~ TOM POUCE ~
Un
pauvre laboureur assis un soir au coin de son feu dit à sa femme, qui filait à
côté de lui :
- Quel grand chagrin pour nous de ne pas avoir d'enfants. Notre
maison est si triste tandis que la gaieté et le bruit animent celle de nos
voisins.
- Hélas ! dit la femme, en poussant un soupir quand nous n'en
aurions qu'un gros comme le pouce, je m'en contenterais, et nous l'aimerions de
tout notre cœur.
Sur ces entrefaites, la femme devint souffrante et mit au
monde au bout de sept mois un enfant bien conformé dans tous ses membres mais
n'ayant qu'un pouce de haut.
Ils dirent :
- Il est tel que nous l'avons
souhaité et nous ne l’en aimerons pas moins de, tout notre cœur.
Ils
l'appelèrent Tom Pouce à cause de sa taille... Ils ne le laissaient manquer de
rien ; cependant l'enfant ne grandit pas et conserva toujours sa petite taille.
Il avait les yeux vifs, la physionomie intelligente et se montra bientôt avisé
et adroit, de sorte que tout ce qu'il entreprit lui réussit.
Le paysan
s'apprêtait un jour à aller abattre du bois dans la forêt et il se disait à
lui-même : " Ah ! si j'avais quelqu'un qui voulût conduire ma charrette! "
-
Père, s'écria Tom Pouce, je la conduirai bien, vous pouvez vous reposer sur moi,
elle arrivera dans le bois à temps.
L'homme se mit à rire.
- Comment cela
est-il possible, dit-il, tu es beaucoup trop petit pour conduire, le cheval par
la bride.
- Ça ne fait rien, si maman veut atteler je m'installerai dans
l'oreille du cheval et je lui crierai où il faudra qu'il aille.
- Eh bien,
dit le père, nous allons essayer.
La mère attela et installa Tom Pouce dans
l'oreille du cheval. Le petit homme lui cria le chemin qu'il fallait prendre. "
Hue ! dia ! Rue ! dia ! " et le cheval marcha ainsi, comme, s'il eût été guidé,
par un véritable charretier ; la charrette arriva dans le bois par la bonne
route.
Au moment où la voiture tournait au coin d'une haie, tandis que, le
petit criait : Dia, Dia ! deux étrangers vinrent à passer.
- Voilà, s'écria
l'un d'eux, une charrette qui marche sans que l'on voie le charretier et
cependant on entend sa voix.
- C'est étrange, en effet, dit l'autre,
suivons-la et voyons où elle s'arrêtera.
Elle poursuivit sa route et s'arrêta
juste à l'endroit où se trouvait le bois abattu.
Quand Tom Pouce, aperçut son
père, il lui cria :
- Vois-tu, père, me voilà avec la voiture, maintenant
viens me faire descendre.
Lie père saisit la bride du cheval de la main
gauche et de la main droite retira de l'oreille son fils et le déposa à terre.
Celui-ci s'assit joyeusement sur un fétu. En voyant Tom Pouce les deux étrangers
ne surent que dire dans leur étonnement.
L'un d'eux prit l'autre à part et
lui dit :
- Ecoute, ce petit être ferait notre fortune si nous l'exhibions
pour de l'argent dans une grande ville. Achetons-le.
Ils s'adressèrent au
paysan et lui dirent :
- Vendez-nous ce petit bonhomme, nous en aurons bien
soin.
- Non, répond le père, c'est mon enfant et il n'est pas à vendre pour
tout l'or du monde.
Cependant, en entendant cette proposition, Tom Pouce
avait grimpé le long des plis des vêtements de son Père. Il se posa sur son
épaule et de là lui souffla dans l'oreille :
- Livrez-moi toujours, père, je
saurai bien revenir.
Son père le donna donc aux deux hommes pour une belle
pièce d'or.
- Où veux-tu te, mettre lui demandèrent-ils.
- Posez-moi sur
le bord de votre chapeau, je pourrai m'y promener et voir le paysage ; je ne
tomberai pas.
Ils firent comme il le demanda et quand Tom Pouce eut fait ses
adieux à son père ils l'emmenèrent avec eux. Ils marchèrent ainsi jusqu'au soir.
A ce moment le petit homme leur dit :
- Posez-moi un peu par terre, j'ai
besoin de descendre.
L'homme ôta son chapeau et en retira Tom Pouce qu'il
déposa dans un champ près de la route. Aussitôt il s'enfuit parmi les mottes de
terre, puis il se glissa dans un trou de souris qu'il avait cherché exprès.
-
Bonsoir, mes amis, rentrez sans moi, leur cria-t-il d'un ton moqueur.
Ils
voulurent le rattraper et fourragèrent avec des baguettes le trou de souris,
peine perdue. Tom Pouce s'y enfonça toujours plus avant, et, comme la nuit était
venue tout à fait, ils durent rentrer chez eux en colère et les mains
vides.
Quand ils furent partis, Tom Pouce sortit de sa cachette
souterraine. Il est dangereux de s'aventurer de nuit dans les champs, on a vite
fait de se casser une jambe. Il rencontra par bonheur une coque vide
d'escargot.
- Je pourrai passer ici la nuit en sûreté ; et il s'y installa.
Sur le point de s'endormir, il entendit passer deux hommes dont l'un dit :
-
Comment s'y prendre pour dérober son or et son argent à ce richard de curé?
-
Je vais vous le dire, interrompit Tom Pouce.
- Que veut dire ceci s'écria
l'un des voleurs effrayés ; j'ai entendu quelqu'un parler.
Ils s'arrêtèrent
et prêtèrent l'oreille. Tom Pouce répéta :
- Emmenez-moi, je vous aiderai.
- Mais où es-tu ?
- Cherchez par, terre, répondit-il, et du côté d'où
vient la voix.
Les voleurs finirent par le trouver.
- Comment peux-tu
avoir la prétention de nous être utile, petit drôle ? lui demandèrent-ils.
-
Je me glisserai à travers les barreaux dans la fenêtre du curé, et -vous
passerai tout ce que vous voudrez.
- C'est bien, répondirent-ils, nous allons
voir ce que tu sais faire.
Quand ils furent arrivés au presbytère, Tom
Pouce se coula dans la chambre du curé, puis il se mit à crier de toutes ses
forces :
- Voulez-vous tout ce qu'il y a ici ?
Les -voleurs furent
effrayés et ils lui dirent :
- Parle plus bas, tu vas éveiller tout le
monde.
Mais Tom Pouce feignit de ne pas avoir entendu et cria de nouveau
:
- Qu'est-ce que vous désirez ? Voulez-vous tout ce qu'il y a ici ?
La
servante qui reposait dans la chambre contiguë entendit ces mots, elle se leva
sur son séant et prêta l'oreille. Les voleurs avaient commencé à battre en
retraite, mais ils reprirent courage, et, pensant que le petit drôle voulait
s'amuser à leurs dépens, ils revinrent sur leurs pas et lui dirent tout bas
:
- Allons, sois sérieux et passe-nous quelque chose.
Alors Tom Pouce cria
encore une fois, le plus fort qu'il put :
- Je vous passerai tout ;
tendez-moi les mains.
Cette fois, la servante entendit bien nettement, elle
sauta à bas de son lit et se précipita vers la porte. Les voleurs s'enfuirent
comme si le diable eût été à leurs trousses, mais n'ayant rien remarqué, la
servante alla allumer une chandelle. Quand elle revint, Tom Pouce alla se cacher
dans le foin, et la servante, ayant fouillé, partout sans avoir rien pu
découvrir, crut avoir rêvé les yeux ouverts et alla se recoucher.
Tom
Pouce s'était blotti dans le foin et s'y était arrangé une bonne, place, pour
dormir ; il comptait s'y reposer jusqu'au jour et puis retourner chez ses
parents. Mais il dut en voir bien d'autres, car ce monde est plein de peines et
de, misères. La servante se leva dès l'aurore, pour donner à manger aux
bestiaux. Sa première visite fut pour la grange où elle prit une brassée du foin
là où se trouvait précisément endormi le pauvre Tom. Mais il dormait d'un
sommeil si profond qu'il ne s'aperçut de rien et ne s'éveilla que quand il fut
dans la bouche d'une vache qui l'avait pris avec son foin.
- Mon Dieu !
s'écria-t-il, me voilà dans le moulin à foulon.
Mais il se rendit bientôt
compte où il se, trouvait réellement. Il prit garde, de ne pas se laisser broyer
entre les dents, et finalement glissa dans la gorge et dans la panse. " Les
fenêtres ont été oubliées dans cet appartement, se dit-il, et l'on n'y voit ni
le soleil, ni chandelle. " Ce, séjour lui déplut beaucoup et, ce qui aggravait
encore la situation, c'est qu'il arrivait toujours du nouveau foin et que
l’espace qu’il occupait devenait de plus en plus, étroit. Il se mit à crier le
plus haut qu'il put :
- Ne m'envoyez plus de fourrage, ne m'envoyez plus de
fourrage, !
La servante à ce moment était justement en train de traire la
vache. En entendant parler sans voir personne, et, reconnaissant la même voix
que celle qui l'avait déjà éveillée la nuit, elle fut prise d'une telle frayeur
qu'elle tomba de son tabouret et répandit son lait.
Elle alla en toute hâte
trouver son maître et lui cria :
- Ah ! grand Dieu, monsieur le curé, la
vache parle.
- Tu es folle, répondit le prêtre.
Il se rendit cependant à
l'étable afin de s'assurer de ce, qui se passait.
A peine y eut-il mis le
pied que Tom Pouce s'écria de nouveau :
- Ne m’envoyez plus de fourrage, ne
m'envoyez plus, de fourrage.
La frayeur gagna le curé lui-même et,
s'imaginant qu'il y avait un diable dans le corps de la vache, il dû qu'il
fallait la tuer. Ainsi fut fait, et l'on jeta au fumier la panse, où se trouvait
le pauvre Tom Pouce.
Il eut beaucoup de mal à se démêler de là et il
commençait à passer sa tête quand survint un nouveau malheur. Un loup affamé qui
passait par là avala la panse de la vache avec le petit bonhomme d'une seule
bouchée. Tom Pouce ne perdit pas courage. " Peut-être, se dit-il, ce loup
sera-t-il traitable. " Et de son ventre où il était enfermé il lui cria :
-
Cher loup, je, vais t'indiquer un bon repas à faire.
- Et où cela ? dit le
loup.
Dans telle et telle maison ; tu n'auras qu'à te glisser par le
soupirail de la cuisine, et tu trouveras des gâteaux, du lard, des saucisses à
bouche que veux-tu.
Et il lui indiqua exactement la maison de son père.
Le
loup ne se le fit pas dire deux fois. Il s'introduisit de nuit dans le soupirail
et s'en donna à cœur joie dans le buffet aux provisions. Quand il fut repu et
qu'il voulut sortir il s'était tellement gonfl6 de nourriture qu'il ne put venir
à bout de repasser par la même voie. C'est là-dessus que Tom Pouce avait compté.
Aussi commença-t-il à faire dans le ventre du loup un vacarme effroyable,
hurlant et gambadant tant qu'il put.
- Veux-tu te tenir en repos, dit le loup
; tu vas éveiller le monde.
- Eh quoi ! répondit le petit homme, tu t'es
régalé, je veux m'amuser aussi moi.
Et il recommença son tapage.
Il
finit par éveiller son père et sa mère qui se mirent à regarder dans la cuisine
par la serrure. Quand ils virent le loup, ils coururent s'armer, l'homme d'une
hache, la femme d'une faux.
- Reste derrière, dit l'homme, à la femme au
moment d'entrer, je vais lui asséner un coup avec ma hache, et s'il n'en meurt
pas du coup, tu lui couperas le ventre.
Tom Pouce qui entendit la voix de son
père lui cria :
- Cher père, c'est moi, je suis dans le ventre du loup.
-
Notre cher enfant nous est rendu ! s'écria le père plein de joie.
Et il
ordonna à sa femme de mettre la faux de côté afin de ne pas blesser Tom Pouce.
Puis il leva sa hache et en porta au loup un coup qui l'étendit mort. Il lui
ouvrit ensuite le ventre avec des ciseaux et un couteau et en tira le petit
Tom.
- Ah ! dit le père, que nous avons été inquiets sur ton sort !
- Oui,
père, j'ai beaucoup couru le monde, heureusement que je puis enfin reprendre
l'air frais.
- Où as-tu donc été?
- Ah ! père, j'ai été dans un trou de
souris, dans la panse d'une vache et dans le ventre d'un loup. Mais maintenant
je veux rester avec vous.
- Nous ne te vendrons plus pour tout l'or du monde,
dirent les parents en l'embrassant et le serrant contre leur cœur.
Ils lui
donnèrent à manger et à boire, et lui firent confectionner d'autres vêtements,
car les siens avaient été gâtés pendant le voyage.
FIN